L’homme est la mesure de toutes choses et c’est à l’aide de son corps qu’il a d’abord mesuré le monde, mais quand il s’est agi d’évoquer ses défauts, c’est une tout autre mesure qu’il a choisie. On constate en effet que, dans notre langue comme dans beaucoup d’autres, ce sont les animaux qui servent d’étalon en la matière. En témoigne un petit livre récent de Thierry Oden, au titre évocateur, T’es bête comme une oie qui couve debout, dans lequel sont recensées nombre d’expressions ayant trait à ce sujet. À l’origine, il n’était pourtant pas évident que les bêtes seraient bêtes. Ce nom est en effet issu du latin bestia, qui, s’il peut désigner tout type d’animal, était plutôt réservé aux animaux féroces. On livrait d’ailleurs certains condamnés ad bestias et il existait des gladiateurs plus spécialement chargés de les combattre, les bestiaires. Au nom bestia était donc ordinairement associée une idée de férocité, et non de sottise, alors que c’était souvent le cas de l’autre terme dont usaient les Latins pour désigner les animaux, bellua. C’est aussi de bestia qu’est issu le français biche, qui désigne un cervidé remarquable non par sa stupidité, mais par sa finesse et sa beauté, nom qui fut employé, particulièrement sous le Second Empire, pour désigner une demi-mondaine, et dont on fait aujourd’hui volontiers un hypocoristique.
Pourtant, en français, les deux sens du mot bête apparaissent presque simultanément, et Mme Leprince de Beaumont les réunit dans La Belle et la Bête : « Dites-moi, n’est-ce pas que vous me trouvez bien laid ? Cela est vrai, dit la Belle, car je ne saurais mentir ; mais je crois que vous êtes fort bon. Vous avez raison, dit le monstre ; mais outre que je suis laid, je n’ai point d’esprit : je sais bien que je ne suis qu’une bête. On n’est pas bête, reprit la Belle, quand on croit n’avoir point d’esprit : un sot n’a jamais su cela. »
Si c’est incontestablement à l’âne que l’on associe le plus souvent l’idée de bêtise, comme nous le verrons plus loin, il est d’autres animaux qui furent mis à contribution.
Voyons d’abord du côté des bovins qui, comme les ânes, se nourrissent de foin et à qui l’on doit sans doute l’expression bête à manger du foin. L’italien dit è un bue (c’est un bœuf), tandis que le slovène emploie neumen je ko tele (il est bête comme un veau). Le veau se distingue de l’âne en ce qu’il évoque une bêtise candide et naïve, quand l’âne est plutôt vilipendé pour son entêtement stupide. On le voit d’ailleurs dans La Table-aux-crevés, de Marcel Aymé, avec le personnage de Capucet (nom qui semble être un diminutif du latin caput, qu’on pourrait traduire par « petite tête »), le garde-champêtre réputé pour son innocente naïveté et dont on dit qu’il est « rusé comme un veau de trois jours ». À ces animaux dont la naïveté confine parfois à la bêtise viennent parfois se joindre les ovins, à preuve l’expression être sot comme une brebis qui se confesse au loup. Regardons maintenant du côté des oiseaux. Il en est quelques-uns qui ont bonne réputation, comme en témoignent les tours négatifs ce n’est pas un aigle ou, plus étonnamment, ce n’est pas le pingouin qui glisse le plus loin. Mais ce n’est pas la majorité de l’espèce et, le plus souvent, nos volatiles n’ont pas bonne presse. On le voit avec des expressions comme être un oison bridé, être bête comme une oie, voire comme une oie qui couve debout. Les oiseaux ne sont pas mieux considérés hors de nos frontières : l’italien dit è un’oca (c’est une oie) ou ha un cervello di gallina (il a une cervelle de poule), le roumain avea minte de gaina (avoir le bon sens d’une poule). Les batraciens sont aussi mis à contribution, et l’on entend parfois il a du bon sens comme un crapaud de la queue, quand le languedocien dit a pas mai d’intelligéncia qu’un grapaud de coa.
Notons pour conclure que le chien, si on lui prête de nombreux défauts, n’est que rarement considéré comme un parangon de bêtise, même si l’on peut lire dans l’avant-propos des Grands Cimetières sous la lune, de Georges Bernanos, au sujet des personnages de Paul Bourget : « Ses ducs sentencieux ressemblent à des notaires, et, quand il les veut naturels, il les fait bêtes comme des lévriers. »