Historique
Si la distribution de récompenses littéraires n’était pas prévue dans la mission première de l’Académie lors de sa fondation, elle a très tôt relevé de sa compétence et de son activité. Constituée d’hommes dont le jugement faisait autorité en matière de langue, de style et d’éloquence, l’Académie française, qui ne devait à l’origine examiner que les ouvrages de ses membres pour les corriger et leur accorder une approbation, pouvait néanmoins étendre exceptionnellement son appréciation aux compositions d’autres auteurs. Les statuts de 1635 précisent bien : « L’Académie ne jugera que des ouvrages de ceux dont elle est composée ; si elle se trouve obligée par quelque circonstance importante d’en examiner d’autres, elle donnera seulement ses avis sans en faire aucune censure et sans en donner aussi l’approbation ». Dès 1637, elle a été saisie pour donner son sentiment critique sur la tragi-comédie du Cid, et ses avis, dans le contexte polémique de la Querelle du Cid, ne furent pas tous exempts de censure. D’autres ouvrages furent ensuite examinés et l’Académie décida en 1638 qu’il y aurait toujours quelque livre français au lieu où elle s’assemblait pour qu’en l’absence d’autres occupations, elle pût l’examiner. La Compagnie est aujourd’hui encore reconnue comme un jury à même d’exercer son jugement sur les ouvrages qui paraissent, de distinguer les meilleurs et de formuler ainsi des choix qui sont autant de conseils de lecture à l’attention du public.
La création des premiers prix remonte au xviie siècle. Guez de Balzac, le premier, souhaita léguer à l’Académie une somme destinée à la fondation d’un prix d’éloquence. Celui-ci devait être décerné tous les deux ans et couronner la personne qui aurait « le mieux réussi et fait le meilleur discours sur la matière ou le sujet proposé », qui était un sujet de piété et de dévotion. La fondation fut créée en 1656 mais le prix ne commença à être attribué qu’en 1671, sur le premier sujet indiqué par Balzac lui-même : « De la louange et de la gloire ; qu’elles appartiennent à Dieu en propriété, et que les hommes en sont d’ordinaire usurpateurs ». La première lauréate du prix fut Mlle de Scudéry. La même année fut distribué un prix de poésie, qui revint à Bernard de La Monnoye, avant d’être définitivement établi grâce à une fondation créée en 1673 par trois académiciens, Pellisson et très probablement Conrart et Bazin de Bezons. Ces deux prix d’éloquence et de poésie furent, jusqu’au xxe siècle, les deux prix les plus importants de l’Académie française. Dans les deux cas, il s’agissait d’un concours. Cette forme a perduré jusqu’en 1973, date à laquelle l’Académie, reconnaissant qu’elle n’avait pas pu attribuer son prix de prose depuis 1966 et de poésie depuis 1967, choisit de ne plus proposer de sujet. Aujourd’hui, il n’existe plus de concours à strictement parler et l’Académie n’examine plus de manuscrits.
Les prix, tels qu’ils sont aujourd’hui attribués, ne distinguent pas des pièces composées exprès mais ils récompensent des ouvrages parus par ailleurs. Cette pratique remonte à la fin du xviiie siècle : durant plusieurs années, le baron Montyon a versé anonymement à l’Académie française des sommes destinées à couronner un « ouvrage de littérature dont il pourra résulter un plus grand bien pour la société », avant de léguer par testament un capital qui a permis de créer à cette même fin, au début du xixe siècle, une Fondation Montyon, qui est aujourd’hui la plus ancienne des fondations actives de l’Académie. Assez rapidement, d’autres fondations ont vu le jour sur le même modèle, comme la Fondation Gobert, en 1834, dont le prix, destiné au « morceau le plus éloquent d’histoire de France », est toujours attribué. Au fil du temps, certaines de ces fondations ont vu progressivement leurs capitaux se réduire et elles n’ont plus permis d’attribuer le prix qui leur était lié. Lorsque plusieurs d’entre elles, de vocation proche, se sont trouvées dans cette situation, l’Académie a pu les regrouper en un unique prix, selon une procédure administrative relativement lourde. Le dernier regroupement important date de 1994.
Quant à la récompense elle-même, Guez de Balzac avait prévu qu’elle consistât en un crucifix ou une semblable pièce d’argenterie ou de vermeil. Très vite, l’objet est remplacé par une médaille d’or de somme équivalente, représentant d’un côté saint Louis et de l’autre une couronne de lauriers avec la devise de l’Académie : « À l’immortalité ». La médaille du prix de poésie, pareillement, porte alors sur sa face la figure du roi et au revers la devise de l’Académie. Aujourd’hui, les médailles qui récompensent un certain nombre de prix et qui sont en vermeil, en argent ou en bronze, portent sur leur face un profil de Minerve et au revers le nom du lauréat, l’indication du prix et du millésime entourés d’une couronne de lauriers. Sous l’Ancien Régime, et conformément aux indications testamentaires de Balzac, les prix étaient remis le jour de la fête de la Saint-Louis, le 25 août, au cours d’une séance extraordinaire ouverte au public. C’est toujours la vocation de la Séance publique annuelle de l’Académie que de mettre à l’honneur les lauréats. La séance se tient aujourd’hui le premier jeudi de décembre et si, pour des raisons d’ordre pratique, elle ne comporte plus la distribution matérielle des récompenses, elle commence bien néanmoins par le « Discours des prix » qui fait l’éloge des lauréats.
Les prix littéraires actuels
Les prix littéraires de l’Académie française sont nombreux et, loin de se borner strictement à la littérature dans ses différents genres (roman, nouvelle, poésie, théâtre etc.), ils couronnent aussi des ouvrages critiques, historiques, philosophiques ou récompensent des personnalités qui rendent des services à la langue et à la vie du français dans le monde.
Ces divers prix sont au nombre de cinquante-huit actuellement. Comme certains d’entre eux peuvent être décernés à plusieurs lauréats, et que la plupart sont annuels (huit sont biennaux et un quinquennal), le palmarès compte chaque année environ soixante-dix récompenses. Ils sont dotés de médailles ou de sommes pouvant aller de mille jusqu’à vingt mille, vingt-cinq mille ou quarante-cinq mille euros pour les plus importants, et sont financés par le revenu de quarante-six fondations, fondations productives qui, sur décision de l’Académie elle-même, sont affectées à la dotation de prix ou fondations créées grâce aux libéralités que des donateurs ou testateurs ont consenties à l’Académie, à charge pour elle de décerner un prix selon une définition précisée dans le décret de fondation.
Les prix sont divisés en deux grandes catégories : les « Grands Prix », pour lesquels seuls les Académiciens proposent les candidatures, et les « Prix de fondations », pour lesquels auteurs et éditeurs peuvent proposer leurs ouvrages. Les premiers sont au nombre de vingt-quatre, auxquels il faut adjoindre trois prix de soutien à la création littéraire qui obéissent au même principe de candidature. Les prix de fondations sont au nombre de vingt-et-un.
Parmi les prix les plus remarquables et les plus importants pour l’Académie française vient en premier lieu le Grand Prix de littérature, fondé en 1911, qui alterne avec le Grand Prix de littérature Paul Morand, fondé en 1977. De grands noms de la littérature figurent au palmarès, de Romain Rolland à Henry de Montherlant, Jean Paulhan, Jules Supervielle ou Marguerite Yourcenar pour le premier, de Jean-Marie Le Clézio à Patrick Modiano pour le second. Il faut ensuite citer le plus connu des prix de l’Académie, le Prix du Roman. Il ouvre chaque année la rentrée littéraire d’automne, précédant la proclamation des Prix Goncourt, Renaudot, Médicis, Femina, Interallié. Pierre Benoit l’a très tôt obtenu pour L’Atlantide ; la liste des lauréats comporte également les noms de François Mauriac, Georges Bernanos, Antoine de Saint-Exupéry, Michel Tournier ou, plus récemment, Pierre Michon.
La diversité des prix de l’Académie résulte en partie de la variété des intérêts des donateurs et reflète par conséquent l’évolution des goûts littéraires dans le temps. C’est ainsi qu’elle décerne encore un Grand Prix de poésie et six autres prix de poésie, témoignage d’une époque où la poésie tenait la première place dans la hiérarchie des genres, mais qu’elle attribue aussi un Prix de la nouvelle ou un Prix de l’essai. De même, au Prix du théâtre et au Prix du jeune théâtre s’est ajouté le Prix René Clair, qui couronne une œuvre cinématographique dont le scénario ou les dialogues manifestent des qualités d’écriture remarquables. L’un des derniers prix créés, le Prix Léon de Rosen, est lui-même tourné vers une certaine actualité. Attribué pour la première fois en 2010, il est destiné à récompenser un ouvrage – roman, essai ou bande dessinée – qui éclaire et promeut les valeurs que recouvre la notion de respect de l’environnement.
L’Académie porte par ailleurs, par la mission même qui lui a été confiée lors de sa fondation, une attention toute particulière à la défense et à la promotion de la langue française en France et dans le monde. C’est pourquoi le Grand Prix de la Francophonie[1], créé grâce à un fonds du Gouvernement canadien complété par le Gouvernement français, la Principauté de Monaco, le Royaume du Maroc et quelques autres donations privées, tient la première place dans le palmarès de l’Académie. Il renforce, par son éclat et l’importance de sa dotation, les Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises, prix honorifiques par lesquels l’Académie témoigne de sa reconnaissance à des personnalités qui ont rendu des services particuliers à la langue et aux lettres. Le prix Hervé Deluen, créé en 2007, s’inscrit dans l’esprit du Grand Prix de la Francophonie et étend la récompense de personnes contribuant à la défense et la promotion du français à des institutions assumant le même engagement.
Les commissions de prix et les modalités de sélection
Pour juger de tous les ouvrages proposés à ses prix, l’Académie a constitué sept commissions composées chacune d’une douzaine de membres titulaires et, parfois, de quelques membres suppléants : la Commission de poésie, celle de littérature et philosophie, celle d’histoire, celle du théâtre et du cinéma, celle de la Francophonie, celle des Grands Prix et celle du roman. Les trois premières se réunissent plusieurs fois pour examiner des ouvrages qu’auteurs et éditeurs peuvent présenter, pour en confier la lecture à des membres rapporteurs et en délibérer ; les autres débattent de candidatures proposées par les académiciens eux-mêmes. Chacune de ces commissions établit et vote pour finir une liste de lauréats, avant de la soumettre en séance à l’approbation par vote de la Compagnie tout entière.
Le Grand Prix de la Francophonie, qui a un règlement propre, est attribué d’une façon légèrement différente. La Commission de la Francophonie, qui débat des candidatures nourries par un dossier, retient trois noms qu’elle propose par ordre de préférence à l’Académie réunie en séance plénière. Comme pour une élection à un fauteuil, la Compagnie vote alors à bulletins secrets. Si aucun nom n’a obtenu la majorité absolue des votants après deux tours, la décision est prise au troisième tour à la majorité relative.
Le Grand Prix de littérature Paul Morand obéit au même mode de scrutin à bulletins secrets, portant sur une sélection de trois noms, et comportant deux tours à la majorité relative et un tour à la majorité absolue. Si deux candidats arrivent ex æquo à l’issue du troisième tour, la Compagnie procède à un quatrième tour pour les départager. Si le résultat est identique, le prix est partagé.
La Commission du Grand Prix du Roman, décalée à l’automne par rapport aux autres commissions, se réunit deux fois. À l’issue de sa première réunion, elle établit une liste d’une dizaine de romans, qui constitue la première sélection. La Compagnie la communique au public par ordre alphabétique d’auteur et sans mention d’éditeur. À l’issue de la deuxième réunion, la sélection est restreinte à trois ouvrages et communiquée selon les mêmes modalités. Ces trois noms sont ensuite proposés par ordre de préférence à la Compagnie tout entière, qui vote en séance selon les mêmes modalités que pour le Grand Prix de littérature Paul Morand. À l’issue de la séance, le Secrétaire perpétuel, entouré de ses confrères, proclame le prix, si possible en présence du lauréat. Cette proclamation ouvre la série des prix de la rentrée littéraire.
Quels que soient les prix et les commissions qui en délibèrent, le jugement des académiciens porte sur l’intérêt des ouvrages, sur leur originalité et la justesse de traitement du sujet et il prend en compte, dans tous les cas, la qualité de la langue.
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