Dire, ne pas dire

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Épée, fleuret, sabre, etc.

Le 15 mai 2025

Nuancier des mots

Ces trois noms désignent des armes blanches d’assez longue taille mais qui diffèrent en plusieurs points. L’épée et le sabre, qui tirent leur nom du latin spatum, pour la première, et du hongrois szablya, pour le second, furent jadis des armes de guerre : l’épée était généralement utilisée pour les combats à pied tandis que le sabre était ordinairement l’arme de la cavalerie. Le fleuret, lui, était réservé à l’entraînement et, pour s’assurer que les assauts n’occasionnent pas de blessure, on en garnissait la pointe d’une petite pièce de protection appelée mouche, mais que nos amis italiens appellent fioretto, parce qu’elle ressemble à un bouton de fleur. Et c’est de ce fioretto que notre fleuret tire son nom. Quant à la mouche, c’est à elle que l’on doit la locution figurée à fleurets mouchetés, qui s’emploie pour qualifier une dispute au cours de laquelle chacun des deux antagonistes agit de manière à ne pas offenser l’adversaire. Aujourd’hui, l’épée, le fleuret et le sabre sont les trois armes utilisées en escrime sportive et désignent les disciplines olympiques où elles sont utilisées. Là encore, il y a de l’une à l’autre quelques différences : l’épée et le fleuret sont des armes d’estoc (on ne marque qu’en touchant avec la pointe), mais au fleuret, une touche n’est valide que si c’est le torse qui est atteint, alors qu’à l’épée, on peut toucher l’adversaire sur n’importe quelle partie du corps, la tête, le torse, les bras, les jambes et les pieds. Le sabre est aussi une arme d’estoc mais c’est également une arme de taille, c’est-à-dire que l’on peut toucher son adversaire avec la pointe ou le côté de la lame, et ce, sur toutes les parties du corps situées au-dessus de la taille.

Dès l’Antiquité, l’épée fut un symbole de force. C’est l’arme de la conquête, comme en témoigne l’expression à la pointe de l’épée, c’est-à-dire « les armes à la main, de vive force ». La Fontaine s’en est souvenu dans Le Loup et le Chien, lorsque le dernier plaint le premier d’avoir toujours à se battre pour sa survie : « Car quoi ? rien d’assuré ; point de franche lippée ; / Tout à la pointe de l’épée. » La force que symbolise l’épée est souvent une force brutale, comme le montre cette parole du Christ rapportée dans l’évangile de saint Mathieu (26, 52) et devenue proverbiale : « Tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. » Mais cette force peut aussi être celle sur laquelle on s’appuie pour faire exécuter les sentences rendues par un juge, et l’épée est alors appelée épée de justice. Le glaive, comme l’épée, symbolise la force, qu’elle soit brutale, puisque l’expression proverbiale tirée de l’Évangile se rencontre aussi avec le terme glaive, ou à l’appui du droit, comme dans la locution le glaive et la balance.

Mais le sabre comme l’épée sont surtout les armes du guerrier, comme le montrent ces deux locutions voisines : traîneur de sabre, qui désigne un soldat affectant de mépriser ce qui ne relève pas du domaine militaire, et traîneur d’épée, qui désigne un bravache qui fait sonner bruyamment son épée, mais fuit les combats. Il a pour archétype le Miles gloriosus, « Le Soldat fanfaron », de Plaute, mais doit sa renommée au Matamore de Corneille dans L’Illusion comique. À ces personnages on peut ajouter le traîneur de rapière, cette dernière étant une longue et vieille épée, qui tire son nom de râpe, car on trouvait quelque ressemblance entre cet outil et la poignée de cette arme. La rapière était fréquemment employée dans les duels et le traîneur de rapière était une sorte de mercenaire prêt à louer ses talents au plus offrant et à estourbir le premier venu contre rémunération. C’est en ce sens un synonyme de bretteur, qui désigne une personne aimant se battre et ferrailler. Si les romans de cape et d’épée ont assuré la survie du nom rapière, il n’en va pas de même pour l’arme du bretteur, la brette, nom issu, par abréviation, d’espée brette ou de lame brette : cet adjectif est le féminin de l’ancien mot bret, « breton », puisque c’est en Bretagne que furent d’abord fabriquées ces armes.

Notons pour conclure que c’est une épée qui signalait l’appartenance des académiciens à la Maison du roi. Aujourd’hui, la poignée de l’épée porte les symboles qui caractérise la vie et l’œuvre de chacun d’eux. Chacune est unique puisque, en effet, si le costume agrège, l’épée, emblème de la personnalité de chaque académicien, distingue.

Suaire, linceul

Le 15 mai 2025

Nuancier des mots

Les noms suaire et linceul sont synonymes ; l’un et l’autre désignent une pièce de toile dans laquelle on enveloppe un mort avant son inhumation. Le premier, issu du latin sudarium, dérivé de sudare, « suer », a d’abord désigné, comme l’écrit Nicot dans son Dictionnaire, un « linge dequoy on s’essuye », puis une pièce de tissu enveloppant la tête d’un mort. Quant au linceul, nom parent de linge et tiré, comme lui, de lin, ce fut d’abord un drap de toile qu’on mettait dans un lit pour se coucher. Ce sens figurait encore dans les quatre premières éditions de notre Dictionnaire, mais, quand le sens actuel s’est imposé, il est devenu difficile de conserver à linceul son sens premier. Si la locution mettre au suaire pour « inhumer » se rencontre parfois, c’est surtout mettre au linceul qui est en usage, peut-être parce que, comme l’écrit Littré, il était possible de faire rimer linceul avec cercueil. Aujourd’hui c’est essentiellement linceul qui est employé dans la langue courante, le mot suaire ne se rencontrant plus guère que dans la locution le saint suaire ou le suaire de Turin, qui désigne le drap de lin qui porte l’image d’un homme crucifié et qui aurait servi à ensevelir le Christ.

Ça ne le regarde pas ou Ça ne lui regarde pas ?

Le 15 mai 2025

Emplois fautifs

Quand le verbe regarder a son sens le plus courant, il n’y a pas d’hésitation sur la construction des pronoms qui remplacent son complément d’objet direct : de nombreux spectateurs regardent le match ; de nombreux spectateurs le regardent. En ce sens, il peut bien sûr se mettre à la voix passive : le match est regardé par de nombreux spectateurs. Mais quand ce verbe signifie « concerner ; être d’intérêt ou d’importance pour », il y a parfois des hésitations sur la forme que prend le pronom complément d’objet direct. Rappelons donc que si aux 1re et 2e personnes du singulier et du pluriel, les pronoms C.O.D. et C.O.I. sont les mêmes, me, te, nous et vous, cela n’est pas le cas à la 3e personne : on dira bien cela ne le regarde pas et non cela ne lui regarde pas. Rappelons également que, quand il a ce sens, regarder ne peut se mettre à la forme passive et que si l’on peut dire cela ne me regarde pas, ne le regarde pas, on ne peut dire je ne suis pas, il n’est pas regardé par cela.

Le système pénitentiaire ou pénitencier ?

Le 15 mai 2025

Emplois fautifs

Les adjectifs en -cier font leur féminin en -cière : foncier/foncière ; outrancier/ outrancière. Il existe aussi certains adjectifs épicènes, c’est-à-dire identiques au masculin et au féminin, en -ciaire, comme glaciaire ou judiciaire. Enfin, on trouve quelques très rares adjectifs en -tiaire, comme partiaire, qui ne se rencontre guère qu’en droit rural, dans l’expression Bail à colonat partiaire, équivalent vieilli du Bail à métayage, et pénitentiaire, dérivé de pénitence, qui signifie « relatif à la prison », et qui s’emploie dans des expressions comme régime pénitentiaire, système pénitentiaire, établissement pénitentiaire ou colonie pénitentiaire. Il existe bien deux formes pénitencier en français, mais ce sont des noms, et non des adjectifs, qui n’ont pas de féminin : le premier désigne un prêtre qui tient d’un évêque ou du pape le pouvoir d’absoudre des cas réservés, le second, un établissement de détention, situé le plus souvent dans les colonies, et où étaient envoyés les condamnés aux travaux forcés. On veillera donc à ne pas dire système pénitencier mais bien système pénitentiaire, et à écrire administration pénitentiaire et non administration pénitencière.

Un gériatre un peu folâtre

Le 15 mai 2025

Emplois fautifs

Il existe en français des mots terminés par le suffixe -atre et d’autres par le suffixe homophone -âtre. Les premiers sont ordinairement des noms désignant des médecins spécialistes, qui tirent leur origine du grec iatros, « médecin ». De ces noms ont été dérivés ceux de leur spécialité en -iatrie : gériatre/gériatrie, pédiatre/pédiatrie. À ces termes, il convient d’ajouter hippiatre, qui désignait naguère un vétérinaire versé dans les soins donnés aux chevaux. Seule la ranatre n’est pas liée à la médecine : c’est un emprunt au latin scientifique ranatra, dérivé de rana, « grenouille », ce mot désignant en effet un insecte aquatique qui, comme la grenouille, vit dans les mares.

En ce qui concerne les formes en -âtre, servant à construire essentiellement des adjectifs, elles ont pour ancêtres des formes en -astre : l’accent circonflexe actuel note un allongement de la voyelle qui compense la chute du s. Ces adjectifs ont le plus souvent une valeur dépréciative : acariâtre, bellâtre, jaunâtre, verdâtre, saumâtre, etc. On retrouve aussi ce suffixe dans les noms albâtre et emplâtre, mais aussi marâtre, également devenu péjoratif bien qu’il ne l’ait pas été en ancien français. On veillera à ne pas confondre ces suffixes afin de conserver à chacun de ces termes l’orthographe convenable.

Ça slay !

Le 15 mai 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le verbe anglais to slay signifie « tuer », mais aussi « impressionner ; être extraordinaire ». Le français connaît ce type d’hyperbole avec des mots du même champ sémantique. C’est ainsi le cas avec l’adjectif mortel quand il qualifie, dans la langue familière, quelque action, quelque spectacle particulièrement frappants : ce film est vraiment mortel ! Le verbe tuer peut s’employer de la même manière : il s’est d’abord rencontré dans des expressions comme c’est la phrase, le mot qui tue (c’est-à-dire qui frappe juste et apporte ainsi la victoire en empêchant l’adversaire de répliquer), puis de manière plus générale, avec une valeur emphatique : sa mauvaise foi m’a tué ! Il en va de même avec l’expression populaire c’est une tuerie, d’abord employée pour qualifier un aliment, un plat que l’on trouve délicieux, et qui s’est ensuite étendue à d’autres domaines.

Il est donc loisible de préférer à l’étrange hybride ça slay ! ces tours hyperboliques pour exprimer l’extrême intensité d’une sensation, d’un sentiment.

Le glaïeul et l’espadon

Le 15 mai 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

Glaïeul et espadon ont en commun la particularité de tirer leur nom de celui d’une arme : glaïeul est en effet issu du latin gladiolus, qui désigna d’abord une courte épée puis un glaïeul, lui-même diminutif de gladius, « épée, glaive », ce qui en fait un parent étymologique de glaive, mais aussi de gladiateur. Espadon, lui, est emprunté de l’italien spadone, désignant une grande épée, dérivé de spada, « épée », lui-même issu, par l’intermédiaire du latin spatum, du grec spathê, qui désignait une épée ou un battoir. En français, le mot espadon a d’abord été le nom d’une longue épée à double tranchant qu’on tenait à deux mains. On n’en usait pas comme avec les épées actuelles : elle avait plus à voir avec les épées massives des Gaulois ou des Germains qu’avec celles des légionnaires romains, tenues, elles, à une main. Elle se maniait plutôt comme le bâton de frère Jean des Entommeures dans le passage de Gargantua où Rabelais le met en scène : « Il chocqua doncques si roydement sus eulx sans dyre guare, qu’il les renversoyt comme porcs frapant à tors & à travers à la vieille escrime. » Par extension, espadon est aujourd’hui le nom d’un poisson dont la mâchoire supérieure est pourvue d’un rostre en forme d’épée. Cette particularité anatomique fait qu’on l’appelle aussi poisson-sabre ou poisson-épée. Cette dernière forme est d’ailleurs la traduction littérale de son nom dans d’autres langues européennes : swordfish en anglais, Schwertfisch en allemand, pez espada en espagnol et pesce spada en italien. Quant à son nom scientifique, c’est Linné qui le lui donna en 1758, mêlant grec latinisé et latin puisqu’il le baptisa xiphias gladius. Nous avons déjà rencontré le terme gladius, mais xiphias mérite également notre intérêt ; c’est un dérivé du grec xiphos, qui désignait une épée mais aussi, déjà, un espadon. (Notons au passage que le mot xiphias a d’ailleurs figuré dans notre Dictionnaire en ce sens de la 6e à la 8e édition.) Le grec xiphos nous permet de revenir à notre glaïeul puisque c’était un de ses dérivés, xiphion, qui désignait cette fleur. Armes, poissons et plantes continuent à se croiser aujourd’hui puisque, en grec moderne, glaïeul se dit spathokhorto, mot formé, lui aussi à l’aide de spathê. Pour en revenir à l’ichtyologie, signalons que notre espadon n’est pas le seul poisson à posséder un surnom formé à partir d’ « épée » : le xiphophore est en effet un poisson d’eau douce plus couramment appelé porte-glaive ou porte-épée. Il y a cependant de notre espadon à ce dernier quelques différences : le premier est un poisson de mer pouvant mesurer plusieurs mètres et peser plusieurs centaines de kilos, quand le deuxième fait à peine dix centimètres…

Que faire en mai ?

Le 15 mai 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

À cette question, le proverbe répond ce qu’il te plaît, mais, comme bien souvent le l de il ne se fait guère entendre, on hésite parfois et l’on trouve également ce qui te plaît. Le sens de ces deux tours n’est guère éloigné, mais il y a de l’un à l’autre quelques nuances. Avec ce qu’il te plaît, on sous-entend en général un infinitif, « ce qu’il te plaît de faire », tandis qu’avec ce qui te plaît, on sous-entend en général un nom dont l’hyperonyme serait chose. En mai, fais ce qu’il te plaît répondant à en avril, ne te découvre pas d’un fil, nous avons deux impératifs, deux formes verbales : c’est donc bien un infinitif qui est sous-entendu et on écrira alors fais ce qu’il te plaît. Mais faire le départ entre ces deux formes n’est pas toujours chose aisée, et il est des cas où la distinction de l’une à l’autre est ténue. On pourrait ainsi écrire mange ce qu’il te plaît, c’est-à-dire « ce qu’il te plaît de manger » ou mange ce qui te plaît, « les aliments que tu aimes ».

Depuis longtemps les grammairiens essaient de maintenir une nette distinction entre ce qui et ce qu’il, mais depuis aussi longtemps les meilleurs auteurs hésitent ou emploient une forme pour l’autre. Ainsi, dans son Dictionnaire critique de la langue française, Féraud explique qu’« Il y a de la diférence entre ce qui te plait, et ce qu’il te plait : le premier signifie ce qui t’est agréable, et le second ce que tu veux ». Il reproche à Racine d’avoir écrit dans Les Plaideurs : « Tu prétends faire ici de moi ce qui te plait. » Il ajoute : « Il est visible qu’il auroit falu dire ce qu'il te plait, c’est-à-dire ce que tu veux. »

Littré, lui, explique ainsi la différence entre ces deux formes : « Ce qui vous plaît signifie “ce qui vous donne du plaisir”, ce qu’il vous plaît signifie “ce que vous voudrez”. »

Le Dictionnaire de l’Académie française veille à cette distinction et l’on trouve, dans toutes ses éditions, Je ferai ce qu’il vous plaira, mais il convient de noter que dans celle de 1798 on pouvait lire, à côté de Je ferai ce qu’il vous plaira, l’autre forme ce qui vous plaira.

On veillera à conserver la subtile distinction existant entre ces deux formes et à toujours choisir ce qu’il faut, ce qu’il convient (ou ce qui convient).

Ajoutons pour conclure que Maurice Grimaud, qui fut préfet de police à Paris en 1968, a écrit un livre relatant les évènements qui se sont passés cette année-là intitulé En mai fais ce qu’il te plaît.