Dire, ne pas dire

La grammaire et l’infini

Le 7 novembre 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

Les verbes latins finire et, avec le préfixe intensif de-, definire, ont d’abord appartenu à la langue de l’agriculture et signifié « limiter, délimiter, borner » ; ils sont dérivés de finis, qui, avant d’avoir eu les sens de « fin, cessation ; degré suprême » et « but », a eu celui de « borne, limite ». Définir un mot, en donner la définition, c’est donc d’abord en limiter, en borner, les sens. Mais ces deux mots, définir et définition, ne sont pas les seuls termes de linguistique liés à cette racine latine finis. Les articles peuvent en effet être définis ou indéfinis. L’article défini indique que le substantif qu’il introduit est pris dans un sens entièrement déterminé. Ce participe, déterminé, nous rappelle aussi que, comme le latin finis, le français terme a d’abord désigné une limite, et que Terminus était le nom du dieu romain qui veillait au respect des règles de bornage. On donnait d’ailleurs sa forme aux bornes pour que les malfaisants aient quelque scrupule à les déplacer. Ces deux noms se retrouvent aussi dans un ouvrage de Cicéron, l’un dans sa langue d’origine, l’autre en français puisque le De finibus bonorum et malorum est ordinairement traduit aujourd’hui par Des termes extrêmes des biens et des maux.

L’article indéfini s’applique à une réalité qu’on ne peut ou ne veut déterminer complètement. Le fait que cet article ne soit pas entièrement déterminé explique qu’on ne puisse l’employer avec un adjectif numéral cardinal, qui est, lui, par essence, fini. On peut ainsi dire Les trois ours accueillirent Boucle d’or ou (avec des adjectifs possessif ou démonstratif) Mes trois ours accueillirent Boucle d’or, Ces trois ours accueillirent Boucle d’or), mais non pas Des trois ours accueillirent Boucle d’or.

On employait aussi naguère l’adjectif défini pour qualifier un temps du passé appelé maintenant passé simple. Pour nommer ce temps, opposé au passé composé, l’usage choisit aujourd’hui de s’appuyer sur la morphologie, quand il le faisait autrefois sur sa valeur.

Enfin, nous retrouvons cette racine dans le nom d’une autre forme grammaticale : l’infinitif. Ce mode est celui de toutes les potentialités du verbe puisqu’il n’est pas limité par les personnes et l’est à peine par les temps puisqu’il ne s’emploie qu’au présent et au passé.

Tous ces mots nous viennent, plus ou moins directement, du latin finis. Si nous lui cherchons un équivalent grec ayant comme lui le sens de « borne, limite », nous trouvons le nom horos, qui a ces sens, mais aussi celui de « définition ». De ce nom a été tiré horismos, « délimitation », que l’on retrouve dans aphorismos, qui signifie « délimitation, distinction », puis « brève définition, aphorisme » et, enfin, en grec chrétien, « exclusion, excommunication ». La forme française la plus connue tirée de horos est sans doute horizon, calque du grec horizôn, participe présent de horizein, « séparer par une frontière, délimiter, déterminer, définir », l’horizon étant la ligne qui semble séparer le ciel de la terre ou de la mer. Mais il est une autre forme, un peu moins connue, qui va nous ramener à la grammaire. Nous retrouvons en effet horos dans l’adjectif aoristos, formé avec le préfixe privatif a-, qui entre dans l’expression aoristos khronos, proprement « temps sans limite », souvent abrégée en aoristos, « aoriste ». Ce nom désigne un temps de la grammaire grecque, ordinairement rendu en français par un passé simple et un passé composé, mais qui peut aussi avoir une valeur de futur puisqu’il existe un impératif aoriste. Cela étant, le plus étonnant, c’est qu’il existe aussi, dans la langue grecque, un infinitif aoriste, c’est-à-dire une forme verbale dont laquelle on trouve deux fois cette notion d’infini.