« La confection d’un dictionnaire, surtout quand il doit être de référence pour des centaines de millions d’usagers d’une langue de par le monde, est une marche de longue haleine, où chaque pas rencontre une embûche, une rigole, un caillou. La langue, comme la mer, toujours recommencée... » Maurice Druon, Avant-propos au deuxième tome de la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française.
C’est en 1986, à l’initiative de Maurice Druon, élu Secrétaire perpétuel de l’Académie française en 1985, que commença la publication, sous forme de fascicules, de la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française, alors que les travaux de révision de la huitième édition avaient été entrepris depuis plusieurs années déjà. En 1992, l’Académie fit paraître le premier tome de son Dictionnaire (de A à Enzyme), en 2000, le second tome (de Éocène à Mappemonde), en 2011, le troisième (de Maquereau à Quotité) et le quatrième tome en 2024. La diffusion des quatre tomes est assurée par la Librairie Fayard, 13, rue du Montparnasse, 75006 Paris.
Cette nouvelle édition, que plus d’un demi-siècle sépare de l’édition précédente, a connu un formidable accroissement du vocabulaire lié au développement des sciences et des techniques, à l’évolution des mœurs et des modes de communication. Ce sont près de 53 000 mots qui en composent la nomenclature, ce qui représente un accroissement d’environ 21 000 mots par rapport à la huitième édition. Les termes nouvellement introduits sont signalés au lecteur par un astérisque. La neuvième édition reflète l’adaptation de la langue à l’évolution de nos sociétés sans pour autant céder à l’encyclopédisme : le Dictionnaire de l’Académie française reste un dictionnaire d’usage. L’introduction des termes nouveaux issus du vocabulaire spécialisé se fait toujours selon la même règle : ne figurent dans notre Dictionnaire que les termes qui, du langage du spécialiste, sont passés dans l’usage courant et appartiennent à la langue commune. L’Académie s’attache en effet à défendre sans relâche la notion de langue commune, cette unité linguistique qui constitue une référence dont le besoin se fait sentir au moment même où les lexiques et registres spécialisés, les jargons, par trop nombreux, menacent la permanence de cette langue.
Si donc l’Académie française a su s’aventurer avec succès où elle n’était pas attendue, jusque sur les terrains ardus de la génétique, de la biochimie, de l’informatique, de la pétrochimie, de la physique nucléaire et de bien d’autres encore, la recherche de cohérence dans la nomenclature scientifique, l’exigence de clarté et de lisibilité des définitions, la volonté d’être compris de l’honnête homme du XXIe siècle sont restées au premier rang de ses préoccupations. Il suffit, pour s’en rendre compte, de lire les définitions de termes comme Quark ou Quantique : les notions auxquelles correspondent ces termes souvent entendus sont d’une grande technicité et il s’agit de les faire comprendre sans formule mathématique, sans schéma, et en une phrase parfaitement limpide et intelligible pour les non-spécialistes. L’ouverture aux lexiques scientifiques modernes ne s’est évidemment pas faite aux dépens des domaines traditionnellement privilégiés par la Compagnie, qui restent largement représentés, soit qu’ils relèvent de ce que l’on a appelé les humanités, comme l’antiquité grecque et latine, la mythologie, l’histoire, la musique, la littérature, soit qu’ils aient fourni un riche vocabulaire à notre langue comme l’équitation, la chasse ou la marine. Il est vrai que certains mots, présents dans la huitième édition, ne figurent plus dans la neuvième mais ce cas reste très rare et la suppression d’un terme répond à des critères précis. Les termes dont la suppression est envisagée doivent être sortis de l’usage depuis longtemps et n’avoir guère d’attestation littéraire : c’est le cas de certains termes scientifiques ou techniques considérés aujourd’hui comme tout à fait obsolètes (par exemple le terme de botanique Monophylle, les termes de chimie Narcotine et Perchlorure ou le terme de métallurgie Pigne), ou encore de certains dérivés dont le sens est transparent (substantifs, adjectifs ou adverbes) comme Apercevante ou Babillement, Polypeux, ou Processionnellement. Il serait en effet inenvisageable de supprimer un mot susceptible d’être rencontré lors de la lecture d’un ouvrage de l’esprit car le Dictionnaire de l’Académie française se doit d’éclairer l’usage présent comme l’usage plus ancien de notre vocabulaire et de permettre ainsi, plus que tout autre dictionnaire, la lecture des œuvres constituant notre patrimoine littéraire. Ont aussi été supprimés certains noms propres qui figuraient encore dans la huitième édition car ils entraient dans certaines locutions ou expressions : ces termes ont pour la plupart disparu en raison de leur nature même de noms propres (Morphée, Nestor, Némésis ou Œdipe pour ne citer que ceux-là). Dans tous les cas, la suppression d’un terme est toujours envisagée avec une extrême prudence par la Compagnie.
Si le Dictionnaire sait se montrer accueillant envers les termes nouveaux et aussi envers certains termes étrangers, pour peu qu’ils correspondent à un véritable besoin, qu’ils soient bien ancrés dans l’usage et qu’il n’existe pas déjà un terme français rendant compte de la même réalité, il reste le garant de l’usage, que la Compagnie a reçu pour mission de guider et de rendre plus sûr. Pour cela la neuvième édition se donne à lire comme une « grammaire en acte » : les règles syntaxiques et grammaticales, les constructions justes et les accords corrects sont mis en évidence à travers les exemples nombreux forgés dans ce dessein, qui sont proposés dans chacun des articles. Le soin porté au traitement des mots grammaticaux, tels que les pronoms relatifs, très représentés à la lettre Q, témoigne de cette même volonté. La présence de remarques normatives, déconseillant l’emploi de certains termes, notamment les anglicismes, ou signalant des constructions fautives, constitue une nouveauté de cette neuvième édition et souligne cette attention sans cesse renouvelée portée au bon usage de notre langue. Ces remarques visent bien entendu moins à proscrire et condamner qu’à montrer et expliquer le bon usage. L’attention accordée aux niveaux de langue (familier, populaire, vulgaire, trivial, argotique) ressortit à cette même perspective didactique qui a également présidé à l’élaboration d’une nouvelle rubrique sur le site de l’Académie française, intitulée « Dire, Ne pas dire », où les Académiciens donnent chaque mois leur sentiment sur les fautes, les ridicules et les tics de langage les plus fréquemment observés dans le français contemporain. On peut également accéder à la plupart des notices de cette rubrique à partir des entrées du Dictionnaire en ligne, grâce à des liens hypertextes. Une autre innovation de cette neuvième édition consiste en l’introduction de notices étymologiques qui se gardent de tout encyclopédisme et de tout excès d’érudition mais visent à expliciter la formation des mots, leur évolution et leur parenté avec certains autres termes par le biais de leurs racines communes, grecques, latines mais aussi indo-européennes, afin de mieux éclairer leur sens et leur usage présent.
L’Académie attache naturellement un soin tout particulier à l’orthographe et au choix des graphies pour guider l’usage : dès sa première édition, elle adoptait un juste milieu entre « l’ancienne orthographe », souvent fondée sur l’étymologie, et une orthographe fondée sur la parole et la prononciation à laquelle aspiraient les réformateurs de l’époque. Il faut, une fois encore, souligner la continuité de sa démarche à travers les siècles : au cours des XVIIIe et XIXe siècles, elle modifie à deux reprises l’orthographe de plusieurs milliers de mots. La neuvième édition propose, dans cet esprit, un certain nombre de simplifications et de rectifications orthographiques, adoptées en 1990 et soumises à la sanction de l’usage, qui concernent essentiellement la formation et l’accord des mots composés ou l’adoption d’une accentuation plus conforme à la prononciation. Les termes faisant l’objet d’une proposition de rectification sont signalés au lecteur par un losange ; les formes rectifiées sont mentionnées à la fin de chaque volume.
Cette neuvième édition, forte de certaines nouveautés et soucieuse d’accorder une place à l’actualité dans ce qu’elle a d’éminemment historique, s’inscrit donc dans une perspective de cohérence, d’atemporalité et de préservation d’une continuité historique entre les éditions qui depuis 1694 – date de publication de la première édition – a toujours guidé l’Académie française dans ses travaux.