Dire, ne pas dire

Extirper les radis

Le 12 décembre 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

Le Thresor de la langue francoyse tant ancienne que moderne, de Nicot, parut en 1606. Même s’il donne la traduction latine des mots qu’il présente, il est ordinairement considéré comme le premier dictionnaire de langue française. Il fournit aussi d’intéressantes explications de phonétique historique. On lit ainsi, à l’article Arracher : « De cest infinitif, Eradicare, syncopez la syllabe moyenne [-di], restera Eracare. De la vient arracher, pour Eracer. » On remplacerait aujourd’hui syllabe moyenne par syllabe prétonique, mais l’explication reste juste et elle nous permet de voir que de eradicare nous avons tiré deux verbes, l’un datant du xxe siècle, et d’origine savante, « éradiquer », l’autre, de huit siècles antérieur et d’origine populaire, « arracher ». Cela explique qu’arracher ait des emplois concrets : arracher des poireaux, arracher une dent, s’arracher les cheveux, ou, de manière figurée, arracher un sourire, une larme, un mot à quelqu’un, toutes expressions où « éradiquer » ne conviendrait pas. Ce dernier s’emploie essentiellement dans la langue de la science, éradiquer une maladie, une tumeur, ou de la morale, éradiquer le mal. Eradicare est dérivé de radix, « racine », à l’origine de radical mais aussi de notre raifort et, par l’intermédiaire de l’italien radice, de notre « radis ». Cette forme latine radix est parente du grec rhiza, de l’anglais root et de l’allemand Wurzel, toutes formes signifiant « racine », mais aussi de l’ancien anglais wort et de l’allemand Würze, « herbe ». Mais à côté de radix existe en latin une autre forme signifiant « racine » ainsi que « souche », stirps, que l’on retrouve dans notre verbe « extirper ». Ce verbe ancien, qui date du xiiie siècle, s’emploie essentiellement aujourd’hui avec des noms abstraits (extirper des superstitions, des vices) mais il n’est pas impossible de le rencontrer dans des emplois concrets (extirper des ronces). Extirper a par ailleurs un doublet populaire, beaucoup moins connu, étraper, ainsi défini dans notre Dictionnaire : « Couper avec l’étrape (petite faucille servant à couper le chaume). »

Étrape, comme cela arrive souvent aux formes populaires, a eu un certain nombre de variantes régionales, désignant des outils tranchants. Littré cite l’esterpe, utilisée dans le Dauphiné, l’exterpe, dans la Drôme, et l’étrèpe, en Ille-et-Vilaine. Nicot nous en présente une autre, l’estrapoire, « un petit faucillon emmanché d’un baston d’environ deux pieds de long, servant à estraper le chaulme qui demeure en la terre du seiage des bleds (la coupe des blés) ». Qui ne connaîtrait pas ce terme pourrait se consoler en lisant que Nicot précisait à son sujet que c’est un mot « usité en peu de contrées de ce Royaume ».