Dire, ne pas dire

Ryan C. (États-Unis)

Le 6 juin 2024

Courrier des internautes

J’ai lu dans Les Vikings, de l’historien Bruno Dumézil, le mot latroncules, que je ne trouve dans aucun dictionnaire. Pouvez-vous me dire ce qu’il signifie ?

Ryan C. (États-Unis)

L’Académie répond :

Le mot latroncules désigne un jeu qui était en usage dans la Rome antique. On y joue sur un plateau de 64 cases, comme aux échecs. Dans chaque camp, la rangée du fond est occupée par des cavaliers, et devant eux se trouve une rangée de fantassins. Latroncule est une transcription du latin latrunculus, qui désigne ici un fantassin, mais qui peut aussi désigner un petit voleur ou un mercenaire. Latrunculus est un diminutif de latro, « voleur », auquel nous devons notre « larron ». On apprend dans une lettre de Sénèque à Lucilius que le plateau de jeu s’appelait tabula latruncularia et que chaque pion était aussi appelé calculus, proprement « petit caillou ». (Lettre à Lucilius 117).

Sénèque parle encore de ce jeu dans De la tranquillité de l’âme (14,7) quand il évoque Julius Canus, philosophe stoïcien que Caligula fit mettre à mort : « Il jouait aux latroncules lorsque le centurion, qui conduisait au supplice une foule d’autres victimes, vint l’avertir ; Canus compta ses points, et dit à son partenaire : Au moins, après ma mort, n’allez pas vous vanter de m’avoir battu. Puis, s’adressant au centurion : Soyez témoin que j’ai l’avantage d’un point. »

Ce jeu est aussi mentionné à plusieurs reprises dans L’Art d’aimer, d’Ovide. Ces différentes citations nous amènent à penser qu’il était très répandu. Les soldats romains semblent avoir aussi régulièrement pratiqué ce jeu, qui leur permettait de passer le temps pendant leurs casernements et qui, disait-on, aiguisait leur sens tactique. On notera enfin que si le nom de ce jeu ne se lit guère dans les dictionnaires, c’est parce que, dans la plupart des traductions, il est remplacé par « échecs », quand bien même les différences de l’un à l’autre sont assez nombreuses.