En ce temps-là, la grammaire était un peu magique ; elle s’était, semble-t-il, placée sous la protection du chiffre Sept. Sept, comme les noms en -ou qui prenaient un x au pluriel : bijou, caillou, chou, genou, hibou, joujou et pou ; sept encore, comme les noms en -al dont le pluriel était en -als : bal, cal, carnaval, chacal, festival, récital et régal ; sept toujours, comme les noms en -ail dont le pluriel était en -aux : bail, corail, émail, soupirail, travail, ventail et vitrail. La parole de ceux qui cherchaient à porter atteinte à l’harmonieuse simplicité de ces listes n’était pas recevable : voulaient-ils ajouter des gavials, des narvals, des rorquals ou encore des servals qu’ils étaient priés de repartir avec leurs vilaines bestioles. Quant aux sectateurs des fermaux, gemmaux ou vantaux, ils n’étaient pas mieux accueillis. Il fallait qu’à chaque règle on trouve sept exceptions qui la confirment, comme il y avait sept péchés capitaux, sept vertus cardinales et sept couleurs à l’arc-en-ciel.
Mais il y avait plus beau encore, et plus inoubliable : la liste des conjonctions de coordination. Plus audacieuses, elles s’affranchissaient de la rigueur de l’ordre alphabétique : foin d’un ridicule et, proprement, insignifiant car, donc, et, mais, ni, or, ou, la pédagogie avait voulu mais, ou, et, donc, or, ni, car et que l’énumération devînt question : Mais où est donc Ornicar ?
Une question très difficile, puisque, bien que des millions d’élèves et leurs maîtres se la soient posée, elle est restée plus longtemps sans réponse que celle de la conjecture de Fermat. Et ce n’est qu’en 1998 que l’astronome français Alain Maury donna la réponse. Ornicar se trouve dans la Ceinture principale d’astéroïdes, à environ deux cents millions de kilomètres de la Terre. Cette énorme distance explique qu’il ait fallu autant de temps pour livrer les clés du mystère, comme le fait Alain Maury :
« À l’école élémentaire, les élèves apprennent la liste des conjonctions de coordination mais, ou, et, donc, or, ni, car. Cette suite peut être interprétée comme Mais où est donc Ornicar ? Le fait de nommer ainsi cette planète mineure, honorant les professeurs de français à travers le monde, fournit une réponse à cette question. »
Cet Ornicar n’était donc pas, comme on aurait pu le croire, un lointain cousin des Barca, Hamilcar ou Bomilcar, qui furent parents d’Hannibal, ni d’un éventuel prétendant au trône d’Ottokar, dont Hergé nous a conté l’histoire, si le bon roi Muskar XII était venu à abdiquer.