Il peut sembler étrange de rapprocher ces deux noms, huître et pétale, dont le premier ressortit à la zoologie et le second à la botanique. Le nom masculin pétale, qui n’est apparu que dans la 4e édition de notre Dictionnaire, est emprunté, par l’intermédiaire du latin petalum, « lame, feuille de métal », du grec petalon, « feuille déployée ». Ce dernier est un parent du latin patere, « être ouvert », auquel nous devons notre adjectif patent. À cette famille appartient aussi l’anglais fathom, « brasse », mesure de longueur équivalant à six pieds et qui désigne la distance allant des doigts d’une main à ceux de l’autre chez un homme ayant les bras écartés. Du nom pétale est dérivé l’adjectif pétaloïde, que nous ne mentionnons ici que parce que c’est une création du plus grand herboriseur de nos écrivains, Jean-Jacques Rousseau, dans son Fragment pour un dictionnaire d’usage en botanique (1763-1765). Les pétales de marguerite s’effeuillent en tranquillisant les amoureux inquiets ou en les plongeant dans les affres de l’angoisse, avec ce lancinant refrain : « Il (elle) m’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout », tandis que les pétales de rose, constamment rattachés à la douceur, voire à la mollesse, ont servi à orner les reposoirs lors des processions de la Fête-Dieu.
Rien d’aussi poétique chez l’huître. Notre mollusque, d’abord écrit oistre et uistre, tire son nom du latin ostrea, qui lui-même l’avait emprunté du grec ostreion, une variante de ostrakon, le premier de ces deux noms désignant ordinairement une huître et le second, sa coquille, puis, par analogie, un pot de terre cuite et un tesson. D’huître dérive le nom huîtrier, apparu sous la forme huistrier dans la 2e édition, en1718, de notre Dictionnaire, et qui fut peu à peu supplanté par le plus savant ostréiculteur. À huître, on a parfois voulu rattacher le nom de la ville de Ouistreham, mais les plages de cette jolie bourgade, dont le nom signifie en fait « village de l’est » car elle est située à l’est de l’embouchure de la Dives, sont trop sablonneuses pour que des huîtres s’y fixent.
Mais alors, quel rapport entre l’huître et le pétale ? C’est par un dérivé ancien du nom grec de l’huître que nous allons les réunir. Ostreion, on l’a vu, est parent de ostrakon, qui peut désigner un tesson de céramique. Ce dernier était l’objet sur lequel on notait, au cours d’une assemblée populaire, le nom des individus que l’on voulait exiler pour un temps, parce qu’ils avaient trop d’influence ou qu’on estimait qu’ils pouvaient être un danger pour la cité. Cette procédure avait pour nom ostrakismos, « ostracisme ». Or, il se trouve qu’à Syracuse, ville de Sicile, qu’on appelait alors la grande Grèce, le même type de procédure existait mais portait un autre nom, tiré, une fois encore, du support sur lequel on écrivait le patronyme de celui que l’on voulait éloigner. L’ostracisme syracusain était appelé petalismos, « pétalisme », parce que le nom de l’indésirable était noté sur une feuille d’olivier, petalon en grec. Pétalisme se trouvait d’ailleurs dans les 4e, 5e, 6e et 7e éditions du Dictionnaire de l’Académie française. On le lit aussi chez Montaigne dans le chapitre XXXII du livre II des Essais, intitulé Defence de Seneque et de Plutarque : « […] Et n’estoit pas nouveau en Grece, de voir les hommes punis et exilez, pour cela seul, d’agreer trop à leurs citoyens : tesmoin l’Ostracisme et le Petalisme. »