On lit, dans la 2e édition de notre Dictionnaire : « Eslever des oiseaux à la brochette, pour dire, Eslever de petits oiseaux, en leur donnant à manger au bout d’un petit baston ». La 3e édition ajoute : « Et on dit au figuré, Un enfant élevé à la brochette, pour dire, Elevé avec beaucoup d’application & de soin. » De la 6e à la 8eédition, on précise « de soins trop minutieux ». Élever à la brochette semble être un synonyme de gâter, ainsi défini dans la 6e édition : « Être trop indulgent pour quelqu’un, entretenir ses défauts, ses vices par trop de complaisance, trop de douceur. » Cette expression, qui ne figure plus dans la 9e édition de notre Dictionnaire, était encore employée par Balzac. On la trouve ainsi dans La Cousine Bette : « Cette actrice [Jennie Cadine] devait aussi tout à un protecteur [le colonel Hulot], qui l’avait élevée à la brochette ».
Il ne s’agit plus ici d’enfants, mais de jeunes personnes dont le protecteur espère obtenir les faveurs. Ce type de situation est fréquent dans la littérature du xixe siècle, mais, dans ce même roman, Balzac bouleverse ce schéma en inversant les rôles puisque c’est une femme plus âgée, la cousine Bette, qui se fait la protectrice d’un homme jeune, le ciseleur polonais Wenceslas Steinbock : « Eh bien ! s’écria Crevel en entrant en colère à l’aspect de la cousine Bette, c’est donc vous qui mariez mademoiselle Hulot avec un jeune comte que vous avez élevé pour elle à la brochette ? »
Mais Balzac emploie cette expression de manière plus étonnante encore dans Eugénie Grandet. On y lit en effet : « (…) les pièces d’or qu’elle récoltait au premier jour de l’an et à la fête de son père, lui composaient un petit revenu de cent écus environ, que Grandet aimait à lui voir entasser. N’était-ce pas mettre son argent d’une caisse dans une autre, et, pour ainsi dire, élever à la brochette l’avarice de son héritière (…) ». Grandet réussira d’ailleurs dans son entreprise puisque, sa fille, riche à millions et malheureuse à cause de lui, terminera sa vie dans une austérité aussi stricte que celle dans laquelle son père les avait fait vivre, elle et sa mère.