Dire, ne pas dire

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« Catwalk » pour « Passerelle, podium »

Le 7 décembre 2023

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Pour dire passerelle, l’anglais emploie un nom imagé, catwalk, qui évoque la démarche souple de quelque félin. Mais aujourd’hui, on le trouve aussi dans des textes français traitant de la mode pour désigner l’estrade surélevée sur laquelle défilent les mannequins. C’est le sens du français podium, que l’on préfèrera utiliser pour nommer ce type d’installation.

« Étonner » pour « Surprendre »

Le 7 décembre 2023

Extensions de sens abusives

Bien connaître une langue suppose que l’on perçoit les nuances de sens existant entre différents synonymes. Pour ce faire, le Dictionnaire de la langue française de Littré est d’une aide précieuse. S’agissant des deux verbes qui nous intéressent, on y apprend que surprendre, c’est « saisir à l’improviste » tandis qu’étonner, c’est « recevoir un coup qui frappe comme le tonnerre ». Une anecdote, probablement apocryphe, montre que notre grand lexicographe donna de sa personne pour nous aider à saisir cette subtile distinction. En effet, à sa femme qui, l’ayant découvert en galante compagnie, s’était écriée : « Mon ami, je suis surprise ! », il répondit : « Non madame, vous, vous êtes étonnée, c’est nous qui sommes surpris. »

Jean-Yves D. (La Rochelle)

Le 7 décembre 2023

Courrier des internautes

J’ai lu dans L’Équipe un article, consacré au joueur de rugby anglais Alex Mitchell, intitulé Ça fait la rue Mitchell. Je comprends d’autant moins ce titre qu’à aucun moment il n’y est question de rue. Pourriez-vous me dire ce qu’il en est ?

Jean-Yves D. (La Rochelle)

L’Académie répond :

Monsieur,

Ce titre est inspiré de l’expression, aujourd’hui désuète Ça fait la rue Michel, qui était employée autrefois dans l’argot des cochers parisiens. Il existe en effet dans le 3e arrondissement de Paris une rue Michel-le-Comte (nommée avant 1806 rue Michel-Lepeletier). On trouvait jadis dans ce quartier les rédactions de plusieurs journaux et donc de nombreux conducteurs de fiacres qui attendaient que tel ou tel journaliste ait besoin de leurs services.

Quand ils avaient touché le prix exact de la course, ils employaient l’expression « ça fait la rue Michel-le-Comte », devenue au fil du temps « ça fait la rue Michel » en lieu et place de « Ça fait le compte, le compte y est ».

Il a déjà couru 19-83

Le 2 novembre 2023

Emplois fautifs

Le sport et la vitesse sont liés. Sera vainqueur qui courra ou nagera le plus vite ; une course d’élan plus rapide donnera des sauts plus longs et les engins de lancer iront d’autant plus loin qu’ils quitteront plus rapidement la main qui les propulse.

Mais ce qui vaut pour le geste sportif ne vaut pas obligatoirement pour le commentaire, qui ne doit pas s’affranchir des règles grammaticales. On dira donc de tel sprinteur qu’il a déjà couru (le 200 mètres) en 19 secondes 83 centièmes, voire « en 19-83 », mais non qu’il a déjà « couru 19-83 ».

 

on dit

on ne dit pas

Il a couru le 1 000 mètres en 2 minutes 44 secondes

Il a couru 2-44.

Vers-z-une heure de l’après-midi

Le 2 novembre 2023

Emplois fautifs

La liaison et l’élision permettent d’éviter nombre d’hiatus et assurent de la fluidité à la phrase. Omettre ces liaisons lui donnerait un caractère par trop heurté ; c’est donc une faute dont il faut se garder. Mais il convient aussi d’éviter l’erreur inverse, qui consiste à faire des liaisons quand l’usage n’en veut pas. On rappellera donc que dans les mots terminés par -rt et par -rs, ce s et ce t ne se lient pas au mot qui les suit. La liaison peut être faite avec le t de l’adverbe fort (mais non avec celui de l’adjectif). On dira donc ver(s) une heure de l’après-midi et non ver-z-une heure de l’après-midi, ou encore Où dor(t) Albert ? et non Où dort-t-Albert ?

Ajoutons cependant que, dans les mots terminés par une double consonne dont la dernière est un s, la liaison se fait généralement au pluriel, et marque ainsi celui-ci ; on dira donc un ver(s) admirable mais des vers-z-admirables.

 

on dit

on ne dit pas

Je par(s) en voyage

Son frère est for(t) en allemand

Il s’est mal comporté enver(s) elle

Je par-z-en voyage

Son frère est fort-t-en allemand

Il s’est mal comporté envers-z-elle

« Rookie » au sens de « Nouvelle recrue, débutant, novice, bleu »

Le 2 novembre 2023

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Rookie est un mot de l’anglais des États-Unis qui désigne un sportif effectuant sa première année dans un club professionnel nord-américain. Ce nom est une altération de l’anglais recruit, qui est lui-même un emprunt du français « recrue » (ce dernier serait un faux ami pour traduire rookie, puisqu’une nouvelle recrue peut avoir une longue expérience dans ce même championnat).

À rookie on préfèrera donc des termes comme nouveau, débutant, voire bleu.

« Roots » au sens de « Sommaire, rudimentaire »

Le 2 novembre 2023

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le nom anglais root, « racine » s’emploie parfois au pluriel comme adjectif en français au sens de « rudimentaire ». Ce mot s’est d’abord rencontré dans le domaine musical pour parler d’une musique, en particulier le reggae, qui restait fidèle à ses racines et ne cherchait pas à plaire par l’ajout de fioritures. Par extension, roots a ensuite qualifié des objets assez rudimentaires, strictement utilitaires et sans aucune prétention esthétique. Il a aussi été utilisé pour décrire un mode de vie sans confort, au plus proche de la nature, voire spartiate, comme celui qui fut vanté par Thoreau, dans Walden. Enfin roots s’est aussi employé pour qualifier qui faisait fi de toute convention sociale dans ses rapports à autrui. On pourra alors dire que cette personne est « nature », « brute de décoffrage » ou « rude ». Dans tous les cas vus ci-dessus, le français dispose de termes ou de locutions qui ont un sens équivalent à ceux de roots.

« Il faut encrer l’Ukraine dans l’Europe »

Le 5 octobre 2023

Emplois fautifs

Les homonymes sont parfois facétieux, on le voit avec cette phrase lue sur le bandeau déroulant d’une chaîne d’informations en continu : « Il faut encrer l’Ukraine dans l’Europe ». On rappellera donc que les noms ancre et encre ont des sens très différents. Le premier, emprunté, par l’intermédiaire du latin ancora, du grec agkura, désigne une pièce métallique, retenue par une chaîne ou un câble, qu’on jette au fond de l’eau pour fixer un navire ; le second est issu du latin encaustum, « chauffé, brûlé », qui désignait des mélanges de cire d’abeille chauffée et de pigments colorés que l’on utilisait pour écrire. Les verbes ancrer et encrer, qui en sont tirés signifient respectivement : « fixer un navire dans un mouillage avec une ancre » et, de manière figurée, « affermir dans une situation », tandis qu’encrer signifie « charger, enduire d’encre ». C’est donc bien évidemment Il faut ancrer l’Ukraine dans l’Europe qu’il aurait fallu écrire.

Famine et disette

Le 5 octobre 2023

Extensions de sens abusives

Les noms famine et disette sont parfois confondus mais, même s’ils ne sont pas de sens très éloignés, ils ne sont pas parfaitement synonymes. Le premier est tiré du latin fames, « faim », tandis que le second semble être un emprunt du grec byzantin disekhtos, « bissextile », qui désignait aussi une « année de malheur ». De la disette à la famine, il y a un degré de gravité, comme l’indique notre Dictionnaire, qui définit la famine comme une « disette extrême et générale », et Littré, qui écrit : « Il y eut disette, après vint la famine. Quand la famine règne, on meurt de faim ; quand la disette règne, on a de la peine à se procurer les aliments. La disette est moins grave que la famine : disette, rareté d’aliments ; famine, absence d’aliments. ».

Castor, demi-castor et bièvre

Le 5 octobre 2023

Expressions, Bonheurs & surprises

Buffon classait le chien, le singe, l’éléphant et le castor parmi les animaux les plus intelligents. Féraud présente quant à lui le castor comme un animal « fameux par son adresse à se bâtir des logemens ». Cette fascination pour ce mammifère rongeur remonte en fait à l’Antiquité, et s’est poursuivie au Moyen Âge. Dans son Livre du Trésor, un bestiaire médiéval, Brunet Latin (1230-1294) en fait un portrait étonnant : « Le castor est une bête qui vit du côté de la mer de Ponto [le Pont-Euxin, aujourd’hui la mer Noire] ; pour cette raison il est nommé chien pontique, car il ressemble un peu à un chien. Ses testicules sont très chauds et d’une grande utilité médicinale, et c’est pour cette raison que les paysans le poursuivent et le chassent. Mais la nature, qui enseigne à toute créature ses propriétés, lui fait connaître alors la raison pour laquelle on le chasse : lorsque le castor se rend compte qu’il lui est impossible de s’enfuir, il coupe lui-même ses bourses avec ses dents et les jette devant les chasseurs. C’est ainsi qu’il rachète sa vie au prix de la partie de son corps qui est la meilleure. Par la suite, si on le pourchasse encore, il découvre ses cuisses et montre bien qu’il est castré. » Après avoir énoncé les mêmes faits et décrit le castor comme une bête très paisible, Pierre de Beauvais, un auteur du xiiie siècle, ajoute : « De la même manière, l’homme qui veut observer les commandements de Dieu et vivre dans la pureté, doit se trancher les testicules, c’est-à-dire tous les vices, et jeter toutes les mauvaises actions au visage du chasseur, c’est-à-dire du Diable, qui perpétuellement le pourchasse. » La description naturaliste prend ainsi une valeur apologétique. Richard de Fournival, qui fut le médecin de Philippe Auguste et de Louis VIII le Lion, tire une autre leçon de cette façon d’agir puisqu’il conseille à sa dame, dans son Bestiaire d’Amour, d’agir comme le castor : qu’elle lui abandonne son cœur pour éviter d’être importunée par d’autres requêtes amoureuses.

Philippe de Thaon, moine normand du xiie siècle, croit reconnaître en cette façon de faire l’origine du nom castor : Chastre sei de sun gré, / Pu ço est si numé, « il se châtre de son plein gré, c’est pour cette raison qu’il est ainsi nommé [castor)] ». Cette hypothèse, pleine de bon sens, est pourtant fausse, comme le signalait déjà Chateaubriand dans ses Voyages en Amérique : « Il n’est pas vrai que le castor se mutile lorsqu’il tombe vivant entre les mains des chasseurs, afin de soustraire sa postérité à l’esclavage. Il faut chercher une autre étymologie à son nom. » Celle-ci nous montrera que notre animal est de haute lignée : il a été en effet nommé ainsi en référence au fils de Zeus et de Léda, Kastôr, « Castor ». Ce dernier, frère jumeau de Pollux, était un protecteur des femmes, aussi a-t-on donné son nom à l’animal qui fournit le castoréum, utilisé jadis pour traiter certaines affections gynécologiques.

Par métonymie, castor désigna aussi un vêtement fait de la fourrure de cet animal et demi-castor, un vêtement « où il entre d’aûtre poil avec celui de castor », puis, lit-on dans le Dictionnaire de Trévoux, « une femme ou une fille dont la conduite est déréglée, quoiqu’elle ne se prostitue pas à tout le monde ».

En français, castor a peu à peu effacé les formes bièvre ou beuvron qui étaient aussi utilisées pour désigner ce rongeur, et qui étaient issues, par l’intermédiaire du latin bèber, du gaulois bèbros. Aujourd’hui le nom de cet animal coupe l’Europe en deux. Les pays méridionaux tirent son nom du latin castor : castoro en italien, castor en espagnol, tandis que les pays nordiques tirent son nom du gaulois : bifur en islandais, bever en norvégien, bäver en suédois. Quant à nos amis allemands et anglais, ils emploient Biber et beaver. Ce dernier a eu son heure de gloire puisque, en raison de la ressemblance phonétique entre Beauvoir et beaver, le philosophe René Maheu, et après lui Jean-Paul Sartre, surnomma Simone de Beauvoir « le Castor ». Signalons enfin qu’en anglais on trouve le mot castor, pour désigner non l’animal, mais un chapeau fait de la fourrure de ce dernier.

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