Buffon classait le chien, le singe, l’éléphant et le castor parmi les animaux les plus intelligents. Féraud présente quant à lui le castor comme un animal « fameux par son adresse à se bâtir des logemens ». Cette fascination pour ce mammifère rongeur remonte en fait à l’Antiquité, et s’est poursuivie au Moyen Âge. Dans son Livre du Trésor, un bestiaire médiéval, Brunet Latin (1230-1294) en fait un portrait étonnant : « Le castor est une bête qui vit du côté de la mer de Ponto [le Pont-Euxin, aujourd’hui la mer Noire] ; pour cette raison il est nommé chien pontique, car il ressemble un peu à un chien. Ses testicules sont très chauds et d’une grande utilité médicinale, et c’est pour cette raison que les paysans le poursuivent et le chassent. Mais la nature, qui enseigne à toute créature ses propriétés, lui fait connaître alors la raison pour laquelle on le chasse : lorsque le castor se rend compte qu’il lui est impossible de s’enfuir, il coupe lui-même ses bourses avec ses dents et les jette devant les chasseurs. C’est ainsi qu’il rachète sa vie au prix de la partie de son corps qui est la meilleure. Par la suite, si on le pourchasse encore, il découvre ses cuisses et montre bien qu’il est castré. » Après avoir énoncé les mêmes faits et décrit le castor comme une bête très paisible, Pierre de Beauvais, un auteur du xiiie siècle, ajoute : « De la même manière, l’homme qui veut observer les commandements de Dieu et vivre dans la pureté, doit se trancher les testicules, c’est-à-dire tous les vices, et jeter toutes les mauvaises actions au visage du chasseur, c’est-à-dire du Diable, qui perpétuellement le pourchasse. » La description naturaliste prend ainsi une valeur apologétique. Richard de Fournival, qui fut le médecin de Philippe Auguste et de Louis VIII le Lion, tire une autre leçon de cette façon d’agir puisqu’il conseille à sa dame, dans son Bestiaire d’Amour, d’agir comme le castor : qu’elle lui abandonne son cœur pour éviter d’être importunée par d’autres requêtes amoureuses.
Philippe de Thaon, moine normand du xiie siècle, croit reconnaître en cette façon de faire l’origine du nom castor : Chastre sei de sun gré, / Pu ço est si numé, « il se châtre de son plein gré, c’est pour cette raison qu’il est ainsi nommé [castor)] ». Cette hypothèse, pleine de bon sens, est pourtant fausse, comme le signalait déjà Chateaubriand dans ses Voyages en Amérique : « Il n’est pas vrai que le castor se mutile lorsqu’il tombe vivant entre les mains des chasseurs, afin de soustraire sa postérité à l’esclavage. Il faut chercher une autre étymologie à son nom. » Celle-ci nous montrera que notre animal est de haute lignée : il a été en effet nommé ainsi en référence au fils de Zeus et de Léda, Kastôr, « Castor ». Ce dernier, frère jumeau de Pollux, était un protecteur des femmes, aussi a-t-on donné son nom à l’animal qui fournit le castoréum, utilisé jadis pour traiter certaines affections gynécologiques.
Par métonymie, castor désigna aussi un vêtement fait de la fourrure de cet animal et demi-castor, un vêtement « où il entre d’aûtre poil avec celui de castor », puis, lit-on dans le Dictionnaire de Trévoux, « une femme ou une fille dont la conduite est déréglée, quoiqu’elle ne se prostitue pas à tout le monde ».
En français, castor a peu à peu effacé les formes bièvre ou beuvron qui étaient aussi utilisées pour désigner ce rongeur, et qui étaient issues, par l’intermédiaire du latin bèber, du gaulois bèbros. Aujourd’hui le nom de cet animal coupe l’Europe en deux. Les pays méridionaux tirent son nom du latin castor : castoro en italien, castor en espagnol, tandis que les pays nordiques tirent son nom du gaulois : bifur en islandais, bever en norvégien, bäver en suédois. Quant à nos amis allemands et anglais, ils emploient Biber et beaver. Ce dernier a eu son heure de gloire puisque, en raison de la ressemblance phonétique entre Beauvoir et beaver, le philosophe René Maheu, et après lui Jean-Paul Sartre, surnomma Simone de Beauvoir « le Castor ». Signalons enfin qu’en anglais on trouve le mot castor, pour désigner non l’animal, mais un chapeau fait de la fourrure de ce dernier.