Dire, ne pas dire

Recherche

Des news qui redonnent le smile

Le 13 mai 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Au sujet de l’adjectif confortable, Charles Nodier a écrit dans son Examen critique des dictionnaires de la langue française : « Confortable est un anglicisme très intelligible et très nécessaire à notre langue, où il n’a pas d’équivalent ; ce mot exprime un état de commodité et de bien-être qui approche du plaisir, et auquel tous les hommes aspirent naturellement, sans que cette tendance puisse leur être imputée à mollesse et à relâchement de mœurs. » Tout cela est fort juste et il existe de nombreux autres mots qui, comme confortable, sont « très intelligibles et très nécessaires à notre langue ». Mais force est de reconnaître qu’il en est aussi d’autres qui, quand bien même ils seraient intelligibles, ne sont pas nécessaires à notre langue, comme les mots news et smile, qui voisinent dans l’expression des news qui rendent le smile, et qui auraient avantageusement pu être remplacés par « nouvelles » et « sourire ».

Armand D. (France)

Le 13 mai 2024

Courrier des internautes

Dans Le Contrat de mariage, de Balzac, Paul de Manerville écrit à sa femme « Sois bonne pour de Marsay : j’ai la plus entière confiance dans sa capacité, dans sa loyauté. Prends-le pour défenseur et pour conseil, fais-en ton menin. » Je voudrais savoir ce qu’est un menin.

Armand D. (France)

L’Académie répond :

Menin, qui se rencontre aussi au féminin sous la forme menine, a d’abord désigné un jeune garçon ou une jeune fille nobles attachés au service d’un membre de la famille royale d’Espagne. Ce nom doit une partie de sa célébrité au fameux tableau de Vélasquez intitulé justement Les Menines.

Par analogie, mais uniquement au masculin cette fois, menin a désigné en France, à partir du règne de Louis XIV, un jeune gentilhomme qui était particulièrement attaché à la personne du Dauphin. Chez Balzac, il désigne, par extension, un protecteur, un conseiller.

Ce nom, que l’on peut aussi écrire et prononcer ménin, est emprunté de l’espagnol menino, lui-même tiré d’une racine men- notant la petitesse, et que l’on trouve aussi dans les mots français minute ou menu.

Date courte

Le 11 avril 2024

Emplois fautifs

Le nom date désigne un point sur la ligne du temps. On parle ainsi de date de naissance, de date de mariage et l’on dit que tel évènement s’est passé à telle date. Il convient de ne pas confondre ce nom avec délai, qui désigne le temps nécessaire à l’accomplissement d’un acte ou la prolongation consentie pour achever la réalisation d’un projet, et qui est, lui, étendu sur cette même ligne du temps. Le délai est une durée et peut donc être court ou long, ce qui n’est pas le cas de la date. On ne dira donc pas La date de péremption de ces produits est courte, mais Le délai avant la péremption de ces produits est court ou La date de péremption de ces produits est proche.

« Des résultats juste passables » ou « Des résultats justes passables »

Le 11 avril 2024

Emplois fautifs

Le mot juste peut avoir plusieurs sens, mais aussi plusieurs natures. Il est d’abord un adjectif qui signifie « conforme à la justice, au droit, à la raison ». On parlera ainsi d’un maître sévère mais juste, d’une loi juste, d’un impôt juste. Dans tous ces cas, juste est lié au nom justice. Il peut aussi l’être à justesse ; il signifie alors « qui convient parfaitement ; pertinent, vrai ». On dira alors : le mot juste, un raisonnement juste, l’heure juste. De ces sens on est passé à celui d’« ajusté », puis d’« étriqué, à peine suffisant ».

Notre adjectif a été substantivé pour désigner ce qui est conforme à la justice, comme dans le juste et l’injuste, mais aussi une personne qui agit selon la justice. C’est ce que l’on a dans dormir du sommeil du juste ou des justes ou c’est un juste. Aujourd’hui, ce nom s’emploie notamment dans l’expression Juste parmi les Nations, qui désigne une personne non juive ayant pris des risques pour sauver des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Dans certaines régions, on rencontre parfois ce même substantif pour désigner une personne un peu simplette, à l’intelligence limitée.

Enfin, juste peut être un adverbe signifiant « de façon à peine suffisante ». Dans ce cas, il reste invariable. On écrira donc des résultats juste passables et non des résultats justes passables.

« Bench press » et « dodge ball »

Le 11 avril 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le mot sport est tiré de l’anglais, qui l’a lui-même tiré de l’ancien français desport, « loisir ». Et comme ce sont souvent dans des pays de langue anglaise qu’ont été inventées ou codifiées un grand nombre des activités sportives, beaucoup de termes s’y rapportant sont anglais. Rien à dire à cela. Mais il y a aussi des sports pratiqués depuis très longtemps qui ont des noms français. Parmi ceux-ci on trouve, entre autres, le cyclisme, l’athlétisme, l’escrime, l’haltérophilie, la musculation. Or, pour ces derniers, les choses sont en train de changer. Qui a fréquenté une salle de musculation au siècle dernier (on parlait moins alors de body building) a pu être amené à faire du développé couché ; le principe de cet exercice est le suivant : le pratiquant s’allonge sur un banc, saisit une barre reposant sur des supports, l’amène au niveau de sa poitrine et la remonte. Ce sport est très en vogue aujourd’hui, mais son nom français est en danger, car on le remplace de plus en plus, en France, par son équivalent anglo-américain bench press, proprement « banc de presse ». Et ce cas n’est pas isolé : une autre activité de loisir s’anglicise puisque la balle au prisonnier ou aux prisonniers (dite aussi ballon prisonnier ou ballon-chasseur) des cours de récréation de notre enfance a vu récemment un toilettage de ses règles, mais ce dernier s’est effectué au prix du changement de son nom puisque, désormais, on l’appelle de plus en plus dodge ball, proprement « la balle à éviter ».

Faire monter des enfans sur l’ours pour leur oster la peur

Le 11 avril 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

« Faire monter des enfans sur l’ours pour leur oster la peur », on lisait cette phrase dans la première édition de notre Dictionnaire. Elle était suivie de celle-ci : « On dit proverbialement & bassement d’Un enfant qui n’a point de peur, qu’Il a monté sur l’ours. » Littré confirmait tout cela en écrivant : « Il le faut faire monter sur l’ours, se dit d’un homme qui a peur et qu’on veut aguerrir, comme on aguerrit les enfants en les plaçant sur le dos d’un ours apprivoisé. » Il faut dire que l’animal avait de quoi faire peur puisqu’on le présentait comme un « animal feroce & fort velu » et que, de la première à la septième édition de notre Dictionnaire, l’article Ours comportait cet exemple : « Il fut dévoré par un ours. » Notre ours entre aussi dans l’expression ours mal léché, que l’on emploie pour désigner une personne mal dégrossie et peu amène. Rabelais nous en donne l’origine dans Le Tiers Livre : « Comme un Ours naissant n’a pieds ne mains, peau, poil, ne teste : ce n’est qu’une piece de chair rude & informe. L’ourse a forse de leicher la mect en perfection des membres. » Que l’on rencontre l’ours dans de nombreuses expressions n’est guère étonnant, tant il a marqué les esprits par sa force, sa taille et son aptitude à se tenir debout, dans plusieurs régions du monde, et ce, depuis l’Antiquité. Le linguiste Antoine Meillet avait montré que, dans les pays du Nord et de l’Est de l’Europe, il n’était pas nommé par des formes parentes du latin ursus ou du grec arktos, mais par des périphrases : ber, « le brun », dans les langues germaniques ; medved, « le mangeur de miel », en russe, et d’autres encore comme « le vieux », « le maître de la forêt » ou « le grogneur ». On suppose qu’une forme de pensée magique interdisait de nommer directement l’animal que l’on chassait, sans doute en raison de la grande valeur qu’on lui accordait. Il n’est pas étonnant dès lors que cet animal exceptionnel soit un élément fréquemment utilisé dans la toponymie et dans l’onomastique, parfois au prix de quelques libertés avec l’étymologie. Les villes de Berne et de Berlin en sont un exemple, qui rattachèrent leur nom à celui de l’ours, qu’elles firent d’ailleurs figurer sur leur emblème. Dans ces deux villes, on éleva d’ailleurs, dans un enclos bâti à cet effet, des ours, les totems de la cité. Mais notre animal a fait mieux puisque c’est à lui qu’un océan et un continent, qui couvrent ensemble presque trente millions de kilomètres carrés, doivent leur nom. Les adjectifs arctique et antarctique sont en effet tirés du grec arktos, qui a d’abord désigné l’ours, puis, par métonymie, les constellations de la grande ourse et de la petite ourse, et enfin l’étoile polaire. Pour ce qui est de l’onomastique, on retiendra les formes comme Bjorn, dans les pays scandinaves, et Orso ou Orsini, dans les pays méditerranéens. Orso est d’ailleurs le prénom du frère de Colomba, héroïne éponyme de la nouvelle de Mérimée.

Mais revenons à nos ours qui ôtent la peur aux enfants. Grâce à un ancien président des États-Unis, ils continuent à le faire sans qu’il soit besoin que les enfants ne grimpent sur leur dos. Theodore Roosevelt était un grand chasseur devant l’éternel, qui avait couru tous les continents pour satisfaire sa passion. Or il arriva qu’une partie de chasse à l’ours, organisée dans le Mississipi, allait se terminer sans que le Président en ait abattu un seul. Pour éviter qu’il ne rentre bredouille, son guide lui proposa de tuer un ourson blessé cerné par les chiens. Roosevelt épargna l’animal. L’anecdote fut rapportée par le Washington Post et illustrée par un dessin de presse où l’on voyait le pauvre ourson. Très vite, on commença à fabriquer des jouets en peluche à sa ressemblance que l’on appela Teddy Bear, « l’ours Teddy », Teddy étant le diminutif affectueux que les Américains donnaient à leur Président. Depuis, l’ourson, le nounours, a conquis le monde et est devenu l’animal le plus représenté en peluche.

Bruno R. (Bordeaux)

Le 11 avril 2024

Courrier des internautes

Il me semble qu’il y a une coquille dans l'article Acousmate, dans lequel on peut lire instrumens au lieu d’instruments.

Bruno R. (Bordeaux)

L’Académie répond :

On ne parlera pas ici de coquille, mais de trace d’une ancienne orthographe. Cette définition est tirée de la 5e édition de notre Dictionnaire, parue en 1798.

À l’époque, les noms et adjectifs en -ent et en -ant avaient leur pluriel en -ens et en -ans. Certaines personnes ont d’ailleurs conservé cet usage jusqu’au début du siècle passé. Jean d’Ormesson aimait ainsi rappeler que, jusqu’à la fin de sa vie, son père écrivit les enfans et non les enfants.

« Avoir à » ou « Devoir »

Le 7 mars 2024

Nuancier des mots

Il y a une légère différence de sens entre avoir à et devoir. Notre Dictionnaire, à l’article Avoir, glose ainsi la locution avoir à : « Devoir, être plus ou moins impérativement contraint de, obligé de ». C’est une façon d’indiquer que, dans un certain nombre d’emplois, on peut utiliser indifféremment l’un ou l’autre.

Mais devoir, contrairement à la locution verbale avoir à, est polysémique et souvent équivoque. Il a dû partir peut se comprendre de deux façons : « il est probablement parti » ou « il a été obligé de partir ».

Certains grammairiens estiment que, lorsqu’il marque l’obligation, devoir a une connotation morale que n’a pas avoir à, qui marque une contrainte imposée de l’extérieur. Devoir désigne ce que nous sommes tenus de faire en vertu de la loi morale et de notre conscience, et s’oppose à l’obligation notée par avoir à, qui désigne ce qui nous est imposé par les mœurs, par les dispositions légales.

Quand il s’agit d’une contrainte extérieure, il est donc préférable d’employer avoir à (Elle n’aura rien à payer), même si devoir n’est pas incorrect (Elle ne devra rien payer) mais plus flou : la nature de la contrainte en cause oscille, sans se fixer, entre le factuel et le moral, l’intérieur et l’extérieur. Si l’on veut renvoyer à une obligation morale, intériorisée, c’est devoir qu’il convient d’employer.

« Elle le bat froid » ou « Elle lui bat froid »

Le 7 mars 2024

Emplois fautifs

Le verbe battre se construit ordinairement avec un complément d’objet direct : Il a facilement battu son adversaire ; on bat les tapis pour en ôter la poussière, mais c’est une erreur d’utiliser cette construction transitive directe quand battre entre dans la locution battre froid. Nous devons cette dernière à la langue de la métallurgie puisque le métal à travailler peut être battu à chaud (il est alors plus souple, plus malléable, se façonne mieux et les pièces ainsi ouvrées sont plus résistantes) ou à froid (le martelage est alors plus simple, moins dangereux, mais les pièces ainsi produites sont plus fragiles). L’expression battre froid était illustrée par cet exemple dans la première édition de notre Dictionnaire : « Lorsqu’un homme craignant de s’engager en quelque affaire, reçoit avec froideur la proposition qu’on luy en fait, on dit qu’Il bat froid, qu’il a battu froid. » À partir de la sixième édition la construction est indiquée : « Battre froid à quelqu’un ».

C’est donc bien Il lui bat froid, il lui a battu froid qu’il faut employer et non Il le bat froid, il l’a battu froid.

Cousu de fil blanc

Le 7 mars 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

NOTRE DÉFINITION

Cousu de fil blanc (fam.), se dit d’un artifice si grossier qu’il ne trompe personne.
Des ruses, des malices cousues de fil blanc, trop évidentes.

L’HISTOIRE

À l’origine, l’expression s’applique à un vêtement : avant de le coudre, dans sa version définitive, avec du fil de la même couleur que l’étoffe et en faisant de petits points bien réguliers, les couturières le cousaient rapidement, avec des gros points et du fil blanc qui se voit. Elles pouvaient ainsi facilement, en cas de retouches, le découdre. Le fil blanc, bien visible, était donc provisoire, peu soigné et destiné à disparaître.

On retrouve cette idée de travail bâclé quand l’expression « cousu de fil blanc » se met, au xvie siècle, à sortir du domaine de la couture pour s’appliquer, de façon imagée, à une histoire inventée, à la trame d’un roman, à un scénario, à une ruse ou un procédé un peu grossiers. On emploie aujourd’hui aussi l’expression proche user de grosse ficelle.

D’AUTRES EXPRESSIONS

La couture nous a laissé d’autres expressions.

Battre à plates coutures, « défaire, vaincre complètement », a fait son entrée dans la langue au xve siècle et doit probablement tenir son origine du geste des tailleurs qui, pour aplatir les ourlets, surtout quand il s’agissait de velours, de tentures épaisses, devaient les battre vigoureusement avec une latte.

En revanche, ce n’est pas directement la couture mais la chasse qui nous a donné l’expression En découdre, au sens de « se battre, en venir aux mains ». Le verbe découdre, dès le xviie siècle, avait pris le sens d’« éventrer », en parlant d’un animal (le cerf découd le chien).

POUR ALLER PLUS LOIN

Coudre est issu du verbe latin consuere, et s’est d’abord rencontré sous les formes *cosere et coldre. Consuere est dérivé de suere, qui a donné suture, suturer. La couture et la suture ont donc le même étymon. Et le partage des emplois est presque parfait : les dérivés de suture sont réservés à la chirurgie, ceux de couture au vêtement : les gestes peuvent être les mêmes, la langue distingue le vivant de l’objet. Il y a néanmoins quelques exceptions : couturé, « balafré, plein de cicatrices », se rapporte au corps et recoudre s’emploie en chirurgie.

On coud aussi des pièces, de cuir cette fois, pour fabriquer des chaussures, et qui pratiquait ce métier était appelé sutor en latin, autre forme dérivée de suere. Ce nom entre dans une sentence devenue proverbiale. Dans son Histoire naturelle, Pline rapporte qu’un cordonnier avait signalé au peintre Apelle une erreur dans la représentation d’une sandale. Ce dernier accepta bien volontiers la remarque et corrigea ce qui devait l’être, mais quand le cordonnier voulut commenter d’autres parties du tableau, Apelle l’arrêta en lui expliquant ne supra crepidam sutor iudicaret, « qu’un cordonnier ne devait pas juger au-delà de la chaussure ». Cette phrase, souvent présentée sous la forme abrégée sutor, ne supra crepidam s’emploie aujourd’hui quand on veut inviter une personne à ne pas porter de jugement en dehors de son domaine de compétence.

Le latin sutor donna sueur en ancien français et on trouve encore dans certaines villes une rue aux sueurs, dans laquelle étaient présentes de nombreuses échoppes de cordonnier, et datant de l’époque où les divers corps de métier se regroupaient en un même lieu. Sueur sortit d’usage parce qu’il pouvait également désigner un tanneur (qui faisait suer les peaux), mais aussi et surtout parce qu’à Cordoue, on trouvait un cuir et des chaussures de grande qualité et que de l’adjectif se rapportant à cette ville, cordouan, on tira le nom cordonnier.

Ajoutons pour conclure avec ce dernier que, si dans les grandes villes les cordonniers étaient spécialisés et faisaient soit des chaussures pour hommes, soit des chaussures pour femmes, il n’en allait pas de même à la campagne. Les artisans étaient polyvalents et travaillaient autant pour les hommes que pour les femmes, ce qui explique que l’on appelait, en argot, les personnes bisexuelles des « cordonniers de campagne » puisqu’elles servaient, disait-on, autant les hommes que les femmes.

Pages