« Faire monter des enfans sur l’ours pour leur oster la peur », on lisait cette phrase dans la première édition de notre Dictionnaire. Elle était suivie de celle-ci : « On dit proverbialement & bassement d’Un enfant qui n’a point de peur, qu’Il a monté sur l’ours. » Littré confirmait tout cela en écrivant : « Il le faut faire monter sur l’ours, se dit d’un homme qui a peur et qu’on veut aguerrir, comme on aguerrit les enfants en les plaçant sur le dos d’un ours apprivoisé. » Il faut dire que l’animal avait de quoi faire peur puisqu’on le présentait comme un « animal feroce & fort velu » et que, de la première à la septième édition de notre Dictionnaire, l’article Ours comportait cet exemple : « Il fut dévoré par un ours. » Notre ours entre aussi dans l’expression ours mal léché, que l’on emploie pour désigner une personne mal dégrossie et peu amène. Rabelais nous en donne l’origine dans Le Tiers Livre : « Comme un Ours naissant n’a pieds ne mains, peau, poil, ne teste : ce n’est qu’une piece de chair rude & informe. L’ourse a forse de leicher la mect en perfection des membres. » Que l’on rencontre l’ours dans de nombreuses expressions n’est guère étonnant, tant il a marqué les esprits par sa force, sa taille et son aptitude à se tenir debout, dans plusieurs régions du monde, et ce, depuis l’Antiquité. Le linguiste Antoine Meillet avait montré que, dans les pays du Nord et de l’Est de l’Europe, il n’était pas nommé par des formes parentes du latin ursus ou du grec arktos, mais par des périphrases : ber, « le brun », dans les langues germaniques ; medved, « le mangeur de miel », en russe, et d’autres encore comme « le vieux », « le maître de la forêt » ou « le grogneur ». On suppose qu’une forme de pensée magique interdisait de nommer directement l’animal que l’on chassait, sans doute en raison de la grande valeur qu’on lui accordait. Il n’est pas étonnant dès lors que cet animal exceptionnel soit un élément fréquemment utilisé dans la toponymie et dans l’onomastique, parfois au prix de quelques libertés avec l’étymologie. Les villes de Berne et de Berlin en sont un exemple, qui rattachèrent leur nom à celui de l’ours, qu’elles firent d’ailleurs figurer sur leur emblème. Dans ces deux villes, on éleva d’ailleurs, dans un enclos bâti à cet effet, des ours, les totems de la cité. Mais notre animal a fait mieux puisque c’est à lui qu’un océan et un continent, qui couvrent ensemble presque trente millions de kilomètres carrés, doivent leur nom. Les adjectifs arctique et antarctique sont en effet tirés du grec arktos, qui a d’abord désigné l’ours, puis, par métonymie, les constellations de la grande ourse et de la petite ourse, et enfin l’étoile polaire. Pour ce qui est de l’onomastique, on retiendra les formes comme Bjorn, dans les pays scandinaves, et Orso ou Orsini, dans les pays méditerranéens. Orso est d’ailleurs le prénom du frère de Colomba, héroïne éponyme de la nouvelle de Mérimée.
Mais revenons à nos ours qui ôtent la peur aux enfants. Grâce à un ancien président des États-Unis, ils continuent à le faire sans qu’il soit besoin que les enfants ne grimpent sur leur dos. Theodore Roosevelt était un grand chasseur devant l’éternel, qui avait couru tous les continents pour satisfaire sa passion. Or il arriva qu’une partie de chasse à l’ours, organisée dans le Mississipi, allait se terminer sans que le Président en ait abattu un seul. Pour éviter qu’il ne rentre bredouille, son guide lui proposa de tuer un ourson blessé cerné par les chiens. Roosevelt épargna l’animal. L’anecdote fut rapportée par le Washington Post et illustrée par un dessin de presse où l’on voyait le pauvre ourson. Très vite, on commença à fabriquer des jouets en peluche à sa ressemblance que l’on appela Teddy Bear, « l’ours Teddy », Teddy étant le diminutif affectueux que les Américains donnaient à leur Président. Depuis, l’ourson, le nounours, a conquis le monde et est devenu l’animal le plus représenté en peluche.