Dire, ne pas dire

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Apprendre, enseigner

Le 4 juillet 2024

Nuancier des mots

Les verbes apprendre et enseigner peuvent être synonymes mais, selon qu’ils ont un complément indirect ou non, ils n’auront pas le même sens. Un professeur pourra dire qu’il enseigne le français, mais non qu’il apprend le français. Pour que ce dernier tour ait le même sens que le premier, il faudra lui adjoindre un complément désignant ceux qui apprennent (il apprend le français à des collégiens, à des adultes). Dans le cas contraire, on supposera que la personne qui parle est un élève et non un enseignant. Autre différence entre ces deux verbes : enseigner s’emploie toujours pour parler d’un apprentissage dispensé par un professeur reconnu comme tel, alors qu’apprendre peut s’utiliser de manière plus large sans qu’il soit besoin que celui qui dispense le savoir soit un professionnel de l’enseignement.

Congrès, conférence et colloque

Le 4 juillet 2024

Nuancier des mots

Les noms congrès et conférence sont proches, mais il existe entre eux quelques nuances. Dans son Dictionnaire, Littré explique ce qui les distingue du point de vue du droit international :

« Le congrès est une réunion de souverains ou de leurs plénipotentiaires, dans un lieu choisi, qui est d’ordinaire un terrain neutre. On peut citer les congrès de Troppau et de Laybach, en 1820 et 1821 ; le congrès de Vérone, en 1822 […]. À la différence du congrès, la conférence a lieu entre les ministres et les ambassadeurs accrédités, sans qu’il soit besoin pour eux de nouvelles lettres de créance. La présence du souverain ou de son plénipotentiaire n’y est pas nécessaire ; l’ambassadeur ordinaire suffit. Les plus remarquables de ces conférences ont été celles de Londres de 1831-1839 sur les affaires belges, et celles qui ont été tenues à Vienne en 1853 et 1854 pour prévenir la guerre entre la Russie et la Turquie. »

On s’est souvent méfié des extensions de sens abusives de congrès ; l’académicien François de Caillières en fait état dans son ouvrage De la manière de négocier avec les souverains, de l’utilité des négociations, du choix des ambassadeurs et des envoyez, et des qualitez nécessaires pour reüssir dans ces employs (1690) : « Le mot de congrès, employé pour exprimer une assemblée ou conférence de ministres, est sale et barbare. » Il explique le discrédit jeté sur ce nom par un autre sens de congrès, signalé par Littré comme un terme d’ancienne jurisprudence, défini ainsi : « Épreuve qu’ordonnait autrefois la justice pour constater, en présence de chirurgiens et de matrones, la puissance ou l’impuissance des époux qui plaidaient en nullité de mariage. » Et Littré de préciser : « Le congrès a été supprimé en 1667. » Ce sens s’est perdu avec l’épreuve qu’il désignait et le nom congrès, débarrassé de son encombrant homonyme, est rentré dans le plein usage.

Congrès et conférence se sont ensuite étendus à d’autres domaines que celui de la diplomatie, toujours avec des sens assez proches mais toujours avec certaines nuances. L’un et l’autre désignent une réunion de personnes qui sont liées par quelque point ; la conférence pouvant être un organe institutionnel permanent de concertation, le congrès étant, lui, un rassemblement temporaire revenant généralement à intervalles réguliers. On parle ainsi de la conférence des évêques de France, de la conférence des présidents d’université, de la conférence des présidents de groupe, à l’Assemblée nationale et au Sénat, tandis que l’on parlera du congrès d’un parti politique, d’un syndicat, d’un corps de métier.

En général, les conférences se déroulent à huis clos, à l’exception, bien sûr, des conférences de presse, tandis que les congrès sont ouverts aux journalistes. Ajoutons que, en droit constitutionnel, le Congrès désigne l’ensemble des corps législatifs aux États-Unis, tandis que, en France, il désigne la réunion extraordinaire du Sénat et de l’Assemblée nationale en vue de réviser la Constitution.

Aujourd’hui, le mot conférence s’emploie plus particulièrement pour désigner un exposé fait par un orateur sur un sujet dont il est spécialiste.

Quant au nom colloque, il désignait, dans la langue classique, une conférence entre des chefs d’État ou de partis sur les matières religieuses, comme le colloque de Poissy qui se tint en 1561 et réunit des catholiques et des calvinistes.

Aujourd’hui, ce même nom désigne une réunion d’un petit nombre de spécialistes qui échangent des points de vue sur un sujet déterminé.

Ébauche, plan, esquisse, brouillon

Le 4 juillet 2024

Nuancier des mots

Le nom ébauche est un déverbal d’ébaucher, verbe qui a d’abord signifié « débarrasser un arbre abattu de ses branches pour en faire une poutre », puis « dégrossir un ouvrage ». Ébaucher est un dérivé de l’ancien français bauch, « poutre ». Dans les domaines techniques, l’ébauche, c’est une pièce inachevée qui résulte d’un premier façonnage. En peinture, c’est le premier stade de l’exécution d’une œuvre sur son support définitif et, par métonymie, l’état de l’œuvre au cours de cette phase, tandis que, en sculpture, c’est la figurine, en terre ou en cire, destinée à préparer la réalisation d’une statue. Dans tous ces domaines, on parle aussi d’esquisse, qui est, à proprement parler, un premier jet, puisque l’italien schizzo, qui est à l’origine du français, désigne une tache faite par un liquide qui a giclé.

Par extension, le nom ébauche désigne aussi un projet sommaire, la préparation d’une tâche, d’une œuvre quelconque. Il est alors assez proche du nom plan, quand il désigne la structure, le schéma d’un ouvrage de l’esprit ou l’organisation générale des différents éléments qui composent ce dernier. Le plan est en quelque sorte l’armature, le squelette de l’œuvre à venir.

Tous ces termes ont en commun de désigner un début de travail, le fait de jeter les premiers éléments de ce qui sera l’œuvre finale. Ils ont tous un caractère incomplet qui les oppose au brouillon, qui est, lui, le premier état d’un texte destiné à être retouché, corrigé, puis recopié, mais qui peut déjà être rédigé dans son intégralité.

Injurier de…

Le 4 juillet 2024

Emplois fautifs

Le verbe traiter, au sens de « donner à quelqu’un un qualificatif insultant », se construit avec un complément d’objet direct et un nom ou un adjectif attribut de celui-ci : Il a traité son frère d’idiot, Elle nous a traités d’incapables. Si le verbe injurier partage avec lui le même sémantisme, il ne se construit pas de la même manière. On ne dira pas il m’a injurié de voleur, pas plus qu’on ne dira, comme nous l’avons rappelé dans un autre article, il m’a insulté de lâche.

« Sois-en certain » ou « Sois en certain » ?

Le 4 juillet 2024

Emplois fautifs

Quand le mot en est un pronom et qu’il suit un impératif, il se lie à ce dernier par un trait d’union qui permet, avec le contexte, de le distinguer de la préposition homonyme et homographe en. On écrira donc sois-en certain et non sois en certain, mais sois en confiance et non sois-en confiance. La présence du pronom en amène aussi, pour éviter un hiatus, l’ajout d’un s euphonique à la fin des verbes du premier groupe, à la deuxième personne du singulier de l’impératif présent. On écrira ainsi Voici des fraises : manges-en, tandis que l’on écrira Mange en silence.

Job hopping

Le 4 juillet 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

La locution anglaise job hopping désigne le fait de changer souvent d’emploi, de passer très vite d’une entreprise à une autre. Le bond que l’on retrouve dans l’onomatopée hop aurait pu inciter, s’il fallait chercher une image prise dans le monde animal pour traduire cette notion en français, à regarder du côté du kangourou ou de la puce, mais la langue n’a pas retenu ces animaux, pourtant réputés pour la qualité de leurs sauts. Sans doute est-ce parce qu’il s’agissait de travail que l’animal choisi a été un de ceux qui sont ordinairement présentés comme des modèles d’application et de constance au labeur, l’abeille, puisque l’on traduit joliment cette locution anglaise par butinage professionnel.

« Avoir, garder une poker face » pour « Être, rester impassible, imperturbable ou indéchiffrable »

Le 4 juillet 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Il importe, au poker, de ne pas montrer ses émotions puisque, si un joueur sait interpréter les réactions de ses adversaires, il lira dans leur jeu comme dans un livre ouvert. Dans ces parties de bluff, l’impassibilité est la clé du succès. Pour évoquer cette dernière, s’agissant donc du poker, mais aussi de toute situation où il convient de garder son sang-froid, nos amis anglais ont créé la locution poker face, proprement « visage de poker », qu’on entend parfois en français utilisée comme complément de verbes comme « avoir » ou « garder ». On rappellera à qui souhaite faire usage de ces tours composites que ces derniers ne disent guère plus qu’« être impassible, imperturbable ou indéchiffrable » ou « rester impassible, imperturbable ou indéchiffrable » et qu’il est donc préférable de recourir à ces formes françaises.

Étonnante asperge

Le 4 juillet 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

Les mots asperge et asperger sont si étonnamment proches par la forme qu’on leur suppose naturellement une proximité sémantique, pourtant bien peu évidente en apparence. L’asperge vaut qu’on s’y arrête, tant pour la chose qu’elle désigne, que pour son nom. Parce qu’elle contient du zinc et de la vitamine E, cette plante potagère de la famille des Liliacées est couramment rangée au nombre des aliments aphrodisiaques, et l’histoire du mot semble vouloir valider cette assertion. Qu’on en juge : asperge, qui s’est d’abord rencontré sous la forme esparge, est issu du latin asparagus. Celui-ci est emprunté du grec asparagos, altération, par perte de l’aspiration de la lettre phi, de aspharagos. Il faut pousser plus loin notre enquête et, pour poursuivre notre recherche, nous allons maintenant cheminer avec comme guide le Dictionnaire étymologique de la langue grecque, de Pierre Chantraine. On nous signale, à l’article aspharagos, le rapprochement étymologique suivant : « On pense à spharageomai, « se gonfler, éclater ». Si l’on se reporte à ce verbe, on apprend que « le radical se retrouve… dans le grec spargaô », ce dernier verbe signifiant « se gonfler, être prêt à jaillir », mais aussi « être gonflé de désir, de passion », voire « d’orgueil ». Il y est aussi écrit qu’« il n’est peut-être pas impossible d’évoquer le latin spargo, « répandre, faire jaillir ». Ce verbe, dont l’infinitif est spargere, a un dérivé, aspergere, déjà attesté chez Plaute avec les sens de « saupoudrer » et de « répandre un liquide ». Ainsi donc, même s’ils n’appartiennent pas au même champ lexical, nos mots asperge et asperger se trouvent bien être parents.

Mais Pierre Chantraine ajoute aussi que spargaô est « proche de orgaô, qui est de sens plus général ». Ce verbe ne fait pas l’objet d’une entrée, mais on le retrouve à l’article orgê, « passion, colère », dont il est tiré. Orgaô signifie « être plein de suc ou de sève », mais aussi « être plein de désir », particulièrement « être plein de désir amoureux », et a un dérivé tardif, orgasmos, « orgasme ».

Ainsi, linguistiquement parlant s’entend, notre asperge nous a conduit à l’orgasme. Les tours et détours de la langue sembleraient donc bien confirmer ce que nous enseignent nos amis botanistes : l’asperge est un aphrodisiaque.

Rappelons d’ailleurs, pour conclure, que, dans ses ouvrages sur l’argot, Auguste Le Breton signale que le nom asperge désigne le sexe masculin et que l’expression aller aux asperges signifie « chercher fortune sur le trottoir ».