Les mots asperge et asperger sont si étonnamment proches par la forme qu’on leur suppose naturellement une proximité sémantique, pourtant bien peu évidente en apparence. L’asperge vaut qu’on s’y arrête, tant pour la chose qu’elle désigne, que pour son nom. Parce qu’elle contient du zinc et de la vitamine E, cette plante potagère de la famille des Liliacées est couramment rangée au nombre des aliments aphrodisiaques, et l’histoire du mot semble vouloir valider cette assertion. Qu’on en juge : asperge, qui s’est d’abord rencontré sous la forme esparge, est issu du latin asparagus. Celui-ci est emprunté du grec asparagos, altération, par perte de l’aspiration de la lettre phi, de aspharagos. Il faut pousser plus loin notre enquête et, pour poursuivre notre recherche, nous allons maintenant cheminer avec comme guide le Dictionnaire étymologique de la langue grecque, de Pierre Chantraine. On nous signale, à l’article aspharagos, le rapprochement étymologique suivant : « On pense à spharageomai, « se gonfler, éclater ». Si l’on se reporte à ce verbe, on apprend que « le radical se retrouve… dans le grec spargaô », ce dernier verbe signifiant « se gonfler, être prêt à jaillir », mais aussi « être gonflé de désir, de passion », voire « d’orgueil ». Il y est aussi écrit qu’« il n’est peut-être pas impossible d’évoquer le latin spargo, « répandre, faire jaillir ». Ce verbe, dont l’infinitif est spargere, a un dérivé, aspergere, déjà attesté chez Plaute avec les sens de « saupoudrer » et de « répandre un liquide ». Ainsi donc, même s’ils n’appartiennent pas au même champ lexical, nos mots asperge et asperger se trouvent bien être parents.
Mais Pierre Chantraine ajoute aussi que spargaô est « proche de orgaô, qui est de sens plus général ». Ce verbe ne fait pas l’objet d’une entrée, mais on le retrouve à l’article orgê, « passion, colère », dont il est tiré. Orgaô signifie « être plein de suc ou de sève », mais aussi « être plein de désir », particulièrement « être plein de désir amoureux », et a un dérivé tardif, orgasmos, « orgasme ».
Ainsi, linguistiquement parlant s’entend, notre asperge nous a conduit à l’orgasme. Les tours et détours de la langue sembleraient donc bien confirmer ce que nous enseignent nos amis botanistes : l’asperge est un aphrodisiaque.
Rappelons d’ailleurs, pour conclure, que, dans ses ouvrages sur l’argot, Auguste Le Breton signale que le nom asperge désigne le sexe masculin et que l’expression aller aux asperges signifie « chercher fortune sur le trottoir ».