Les noms qui désignent les malfaisants de tout poil perdent assez vite de leur force quand on les utilise pour parler d’enfants ou de toutes jeunes personnes. Cet adoucissement est le plus souvent favorisé par l’ajout d’adjectifs comme « petit » ou de dérivés à valeur diminutive. Ainsi le diable cesse d’être le démon ou un individu méchant et cruel quand il devient, comme chez la comtesse de Ségur, un bon petit diable ou quand on le réduit à un diablotin (ce dernier étant d’autant plus inoffensif qu’il vient de l’ancienne forme diablot, qui était déjà un diminutif). Et quand François Mauriac présentait Françoise Sagan comme un « charmant petit monstre », il ne songeait certainement pas à elle comme à un être cruel et dénaturé. Grâce à la présence de ces adjectifs, en trois siècles, le sens de filou est passé de celui de « voleur habile » à celui d’« enfant espiègle », un chemin parcouru en moitié moins de temps par « gredin », qui signifiait à l’origine « mendiant, gueux ». Il en va de même pour crapule ; ce nom, emprunté du latin crapula, « excès de vin », a d’abord désigné, au xive siècle, l’ivrognerie. On apprit ensuite dans L’Encyclopédie qu’« on l’a étendu à toute débauche habituelle & excessive », et dans l’édition de 1798 du Dictionnaire de l’Académie française, qu’« on se sert aussi de ce mot familièrement pour désigner Ceux qui vivent dans la crapule ». Mais quand Colette, dans La Vagabonde, appelle « petite crapule » sa chienne Fossette, il s’agit bien sûr d’un terme affectueux.
Le nom voyou semble s’être d’abord rencontré dans un poème d’Auguste Barbier, La Cuve, où l’on peut lire : « La race de Paris, c’est le pâle voyou / Au corps chétif, au teint jaune comme un vieux sou ; / C’est cet enfant criard que l’on voit à toute heure / Paresseux et flânant, et loin de sa demeure / Battant les maigres chiens, ou le long des grands murs / Charbonnant en sifflant mille croquis impurs ; / Cet enfant ne croit pas, il crache sur sa mère, / Le nom du ciel pour lui n’est qu’une farce amère / C’est le libertinage enfin en raccourci / Sur un front de quinze ans c’est le vice endurci. » Malgré cette éclairante définition, Charles Nodier écrivait un an plus tard à Alexandre Duval : « Je ne sais si vous savez ce que c’est qu’un voyou, car l’Académie ne l’a pas dit. C’est ce que nous appellerions plus élégamment à Paris un gamin de bas étage. » L’étymologie de ce nom fut l’objet de discussions. Charles Nisard pensait qu’il était une forme altérée de voirou, variante de « loup-garou ». Il écrit dans ses Curiosités de l’étymologie française de quelques proverbes et dictons populaires : « Le voyou […] a toutes les propriétés du voirou. Il vagabonde, il est partout, il est braillard, tapageur, railleur, malendurant, rêve toujours à quelque fredaine, est la bête noire des bourgeois et l’ennemi-né des sergents de ville. Le peuple de Paris, qui fait ou refait les mots et qui, bons ou mauvais, finit toujours par les imposer, a perfectionné celui-là. Voyou prévaut sur voirou. » Mais on préfère aujourd’hui l’étymologie qu’en donnait Francisque Michel dans ses Études de philologie comparée sur l’argot et sur les idiomes analogues parlés en Europe et en Asie : « Voyou : Faubourien de Paris, homme, enfant mal élevé. Ce mot indique bien l’homme de la voie publique, de la rue ». Ainsi le voyou sera passé d’adolescent perdu à adulte malfaisant avant de revenir, en quittant la rue, au jeune enfant facétieux.
Le nom canaille nous vient, lui, de l’italien canaglia, un dérivé de cane, « chien », et désigne d’abord une troupe de chiens, au sens propre comme au sens figuré ; il a remplacé l’ancien français, à l’étymologie plus claire, chiennaille, qui fut bien vite un terme de mépris, régulièrement associé à vilains. Un des aspects intéressants de ce terme c’est qu’il peut avoir, que ce soit pour dire le mépris ou la tendresse, une valeur de singulier collectif. On le voit quand en 1694, l’Académie française glose ce mot comme « la plus basse partie du peuple », et aussi quand elle ajoute, « On appelle aussi, Canaille, De petits enfans qui font du bruit, qui incommodent. Chassez-moy cette canaille, cette petite canaille qui fait du bruit. »
Le nom chenapan a, lui aussi, toute sa place dans cette liste. C’est un emprunt, par l’intermédiaire du néerlandais snaphaan, de l’allemand Schnapphahn, « voleur de grand chemin », un nom composé à partir de schnappen, « attraper », et de Hahn, « coq ». Dans un premier temps, on l’employait pour indiquer que ces chenapans pillaient sans vergogne les poulaillers : dans ce cas coq était considéré comme complément d’objet du verbe. Puis, dans un second temps, on assimila, par métaphore, ces chenapans à de jeunes coqs s’emparant de ce qui leur tombait sous la main : dans ce cas, coq était considéré comme sujet du verbe à l’impératif et ce nom signifiait à peu près « attrape, mon coq ». On aurait aimé, par l’intermédiaire du coq, rattacher chenapan et coquin ; mais l’hypothèse est peu sûre. Littré s’en est expliqué dans son Dictionnaire : « On a proposé d’y voir un dérivé de coq, comme coquet, seulement avec un sens péjoratif d’ordinaire ; ce qui permettrait d’expliquer que coquin n’a pas toujours un mauvais sens (par exemple, ces coquins d’enfants indique une impatience mêlée d’amour) ; mais les emplois anciens de ce mot ne sont pas favorables à cette conjecture. » Notre coquin, souvent accompagné de fieffé quand il est un nom, se rencontre aussi comme adjectif avec le sens de « qui cherche à séduire, comme dans regard coquin, voire de « licencieux », comme dans images, histoires coquines.
Si donc nous ne pouvons rattacher chenapan à coquin, nous pouvons l’associer à taquin, dont il est proche par la construction et le sens originel. Ce nom, qui a d’abord désigné un gueux, un bandit, est issu de l’ancien français taquehan, « assemblée illicite d’ouvriers, émeute », une forme empruntée du moyen néerlandais takehan, lui-même composé à l’aide de take, impératif de taken, « prendre, saisir, attraper » (bien proche par le sens du schnappen de « chenapan »), et de han, abréviation de Johan, « Jean », pris comme type de tout individu mâle, et que l’on pourrait traduire par « attrape, mon gars ! », c’est-à-dire l’équivalent exact de chenapan.