Dire, ne pas dire

À quel saint se vouer ?

Le 6 mars 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

Pour désigner les maladies, la langue recourait volontiers, au Moyen Âge et à la Renaissance, à des tours dans lesquels le nom mal s’accompagnait d’un adjectif ou d’un complément donnant quelque indication sur sa nature : le mal de neuf mois désignait la grossesse, le mal d’enfant, l’accouchement, le mal chault, une forte fièvre, le mal le roi, les écrouelles, que ce dernier guérissait par l’imposition des mains. La syphilis était appelée le mal de Naples. Jacques de Mailles nous explique pourquoi dans sa Très joyeuse et très plaisante histoire du gentil seigneur de Bayart, le bon chevalier sans peur et sans reproche : « Aucuns […] en apporterent [de Naples] quelque chose dont ils se sentirent toute leur vie. Ce feust une manière de maladie qui eust plusieurs noms. D’aucuns feust nommé le mal de Naples, la grande verole ; les autres l’ont appelé le mal françois… » Quant au mal de mer, s’il désignait déjà la nausée provoquée par les mouvements d’un navire, c’était aussi le nom du scorbut. Mais, comme en ces temps la guérison semblait dépendre autant, voire plus, de la volonté de Dieu que du talent des médecins, on nommait souvent les maladies à l’aide du tour le mal saint X ou sainte Y. L’épilepsie était nommée, entre autres, le mal de saint. Un texte du Moyen Âge nous en donne la raison : « On appelle le mal caduc [cette maladie peut en effet faire tomber qui fait une crise] le mal de saint ou mal saint Jehan pourtant [parce] qu’il se fait en une partie sainte et sacree et divine entre toutes les autres, qui est le chef. » On l’appelait aussi le mal saint Valentin, parce que, croit-on, les Allemands allant en pèlerinage auraient rapproché le verbe fallen, « tomber », du nom Valentin.

Le nom du saint ou de la sainte était souvent choisi parce que la partie du corps atteinte avait un lien avec son martyre. L’ergotisme, qui provoquait de fortes sensations de brûlure, était appelé mal des ardents, mais aussi mal saint Antoine, en souvenir d’Antoine d’Alexandrie qui refusa de renier sa foi et fut, pour cela, jeté vivant dans une fournaise. Le mal sainte Apollonie (ou Apolline), c’est-à-dire « le mal de dents », était ainsi nommé car la sainte avait eu toutes les dents arrachées pour n’avoir pas voulu blasphémer. L’iconographie la représente d’ailleurs tenant dans une main la palme du martyre, et, dans l’autre, une tenaille avec une de ses dents. La mutité était appelée mal saint Zacharie parce que, nous dit saint Luc (1, 20), ce fut sa punition pour avoir douté de l’ange Gabriel qui lui annonçait que, malgré leur grand âge, lui et sa femme auraient un fils, « Et voici, tu seras muet, et tu ne pourras parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, parce que tu n’as pas cru à mes paroles ». Le nom du saint pouvait aussi être choisi parce qu’il avait quelque rapport de sonorité avec celui du mal en question : on appelait ainsi le fait d’avoir l’humeur acariâtre le mal saint Acaire. Ce saint fut aussi invoqué pour guérir la folie. Il partageait ce privilège avec saint Mathurin. Mention en était encore faite dans la huitième édition de notre Dictionnaire, à l’article Avertin : « Terme d’ancienne Médecine. Maladie d’esprit qui rend opiniâtre, emporté, furieux. Il se disait, par extension, de Ceux qui étaient tourmentés de cette maladie. Le peuple appelait saint Mathurin le patron des avertins. » Mathurin vivait à la fin du iiie siècle. Sa réputation de guérisseur était si grande que l’empereur Maximien Hercule le fit venir pour soigner sa belle-fille, qui était folle. Mathurin lui fit boire un peu d’huile qu’elle vomit aussitôt, avec le démon qu’elle avait dans le corps. Elle était guérie. Le mal saint Ladre, lui, désignait la lèpre : ladre, issu du bas latin Lazarus, nom du mendiant couvert d’ulcères dans l’Évangile de saint Luc, était autrefois le nom des lépreux. On appelait le cancer du sein le mal saint Mammert. Le mal saint Guy désigna d’abord la chorée, état pathologique qui provoque des mouvements involontaires, brusques, brefs et irréguliers et plus souvent appelé danse de saint Guy. Ce dernier, en raison d’une erreur étymologique, avait aussi la réputation de guérir l’érotomanie : Guy, Vito en italien, mais que l’on trouve aussi sous les formes Vite ou Vith, est issu du nom propre latin Vitus, dérivé de vita, « vie ». Mais, au Moyen Âge, ces noms propres furent rapprochés du nom vit, et c’est ainsi que l’érotomanie fut appelée mal saint Guy ou mal saint Vitus ou saint Vit.

On ajoutera pour conclure que l’on parlait autrefois par plaisanterie de la maladie de saint Bondon (ce nom est une variante de bidon ou bedon), locution que l’on utilisait au sujet de ceux qui étaient « fort gras et en bonne santé », et dont on disait parfois qu’ils avaient « les joues plates comme une boule ».