Les noms outil et ustensile sont liés, par l’étymologie et par le sens, à l’adjectif utile. Les étymologies de ces mots se croisent : à l’article Outil de son Thresor de la langue francoyse tant ancienne que moderne, Nicot écrit : « Semble qu’il vienne de Utilis, ou de Utensile. » Il n’a pas tort. Outil, que l’on trouve sous une douzaine de variantes orthographiques en ancien français, est issu du latin tardif usitilium, singulier de usitilia, forme altérée, sous l’influence de usare, « utiliser », de utensilia, qui désignait tout ce qui est nécessaire à nos besoins, les moyens d’existence, les provisions. C’est aussi de utensilia qu’est empruntée l’ancienne forme utensile, encore attestée au xviie siècle, avant d’être transformée, par rapprochement avec user et usage, en ustensile. Quant à utile, il s’est d’abord rencontré sous la forme « utle », comme le montre un sermon de saint Bernard où l’on peut lire : « Certes molt est plus utle en la bataille li haberz (le haubert) qui de fer est. »
Mais outil et ustensile ne désignent pas les mêmes objets, des textes du Moyen Âge le signalent déjà. Tandis que, dans ses Enseignements, Jean de Vignay parle des coustres des charrues, fourches et autres houstils semblables, Jean Boutiller explique dans sa Somme rural : « Utensiles sont nommez les hostils qui communement courent avant la maison et dont de jour en jour se faut necessairement aider, si comme bancs, scabelles, pots, poilles, tables, treteaux. » Il y a là un intéressant élément de distinction, puisque les ustensiles sont du domaine du foyer, de la maison (ustensiles de cuisine, ustensiles de couture) tandis que les outils sont plutôt du dehors, des champs ou de l’atelier de l’artisan (outils aratoires, outils de menuisier). La présentation d’ustensile dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie confirme ce fait : « Terme qui se dit proprement de toutes sortes de petits meubles servant au mesnage, & principalement de ceux qui servent à l’usage de la cuisine. Tout l’inventaire ne consistoit qu’en plusieurs petits ustensiles de cuisine. » Mais on y ajoute ce point aujourd’hui oublié : « Ustensile, se dit encore de tout ce que l’hoste est obligé de fournir au soldat qui loge chez luy; & dans ce sens il est collectif, & n’a d’usage qu’au singulier. Sous le nom d’ustensile, on comprend l’usage des ustanciles de cuisine, le feu, le sel & la chandelle. L’hoste n’est obligé de fournir que l’ustensile. ».
Dans ses Synonymes français, l’abbé Roubaud précise ces distinctions en comparant l’outil, l’instrument, l’engin et la machine : « L’outil est une invention utile, usuelle ; l’instrument, une invention adroite, ingénieûse. Si la chôse est plus compliquée, c’est une machine. L’engin (suivant l’étymologie) anonce une sorte de génie ; mais ce n’est pas un terme noble. On dit, les outils d’un Menuisier, d’un charron ; des instrumens, de Chirurgie, de Mathématiques ; la machine pneumatique, électrique. Le Luthier fait avec des outils, des instrumens de Musique. L’instrument est en lui-même un ouvrage supérieur à l’outil. »
Concluons avec un proverbe contenant le mot « outil », qui, au cours du temps, a changé de sens : Un mauvais ouvrier a toujours de mauvais outils. Aujourd’hui, on l’emploie pour indiquer que les outils sont à l’image de leur propriétaire et que le mauvais outil signale le mauvais ouvrier, mais à l’origine ce proverbe disait autre chose. On lit dans la première édition de notre Dictionnaire : « On dit proverbialement qu’Un meschant ouvrier ne sçauroit trouver de bons outils, & qu’un bon ouvrier se sert de toute sorte d’outils », ce qui signifiait que même avec de bons outils un ouvrier maladroit faisait toujours du mauvais travail, tandis qu’un bon ouvrier était toujours capable de faire du bon travail, quelle que soit la qualité des outils dont il disposait.