Le nom souris est issu du latin populaire sorix, altération de sorex. On trouve ce mot dans Histoires naturelles (VIII, 82, 3), où Pline nous apprend que « les Annales sont pleines de cas où les auspices ont été interrompus par le cri des souris ». Mais les Latins usaient surtout d’un autre nom, mus, qui pouvait désigner indistinctement le rat ou la souris. Mus, dont le génitif est muris, est à l’origine de termes savants comme muridés (1834) et murins (apparu trois ans plus tard), qui sont attestés l’un et l’autre dans la version revue et augmentée par l’académicien Charles Nodier du Dictionnaire universel de la langue française de Pierre-Claude Victor Boiste. Ces deux noms sont de même sens, mais, sur le modèle de porcin, bovin, etc., murin peut aussi être adjectif (un élevage murin). Mus entre aussi dans la composition de noms plus courant comme musaraigne. Ce dernier est emprunté du latin musaraneus, composé de mus, « souris », et de l’adjectif araneus, « d’araignée », parce que l’on croyait que la morsure de la musaraigne, comme celle de l’araignée, était venimeuse. On le retrouve aussi dans musculus, proprement « la petite souris », à l’origine du nom français féminin « moule » et du nom masculin « muscle », le premier par analogie de forme et de couleur, la moule fermée ressemblant à une souris, le second parce que les Latins estimaient que lorsque les muscles roulaient sous la peau, ils faisaient penser à une petite souris qui aurait couru sous cette peau. On retrouve cette même image dans une lettre de Mme de Sévigné à sa fille, Mme de Grignan, en date du 3 novembre 1688 : « Cette souris de douleur qui lui court à une main, puis à l’autre, est aujourd’hui sur le genou. » Trois siècles plus tard, c’est encore grâce à une souris qu’une flèche court partout sur les écrans d’ordinateur...
La forme latine mus a de nombreux correspondants dans d’autres langues indo-européennes, et d’abord le grec mus, muos, qui signifie également « muscle » et « souris », et qui nous a donné nombre de mots en myo-, comme myosotis, proprement « oreille de souris », mygale, proprement « la souris belette », le pendant inversé de la musaraigne, myocarde, myopathie, myopotame, myocastor, le nom savant du ragondin. La racine indo-européenne se retrouve aussi dans le germanique à l’origine de l’allemand Maus et de l’anglais mouse, un nom intéressant car il témoigne des variations des formes de l’ancien anglais en fonction du nombre, puisque ce mot a comme pluriel mice.
Notons cependant que l’étymologie qui fait venir « muscle » de la petite souris latine n’était pas unanimement acceptée au xixe siècle. Dans son Dictionnaire national, Bescherelle préférait, non sans une certaine logique, le grec muein, « bouger » ; ce n’était pas la bonne étymologie, mais ce verbe, qui signifie d’abord « fermer », n’est cependant pas resté sans descendance : il est à l’origine de myope, « celui qui ferme à demi les yeux pour voir », et de mystère, « ce qui est fermé à qui n’est pas initié ».
Mais notre souris musculus n’est pas le seul animal à avoir donné son nom à des muscles. Semblable aventure est arrivée au nom latin lacerta, que l’on trouve aussi sous la forme lacertus et qui a d’abord désigné un lézard, puis les muscles du haut du bras, longs et effilés comme des lézards, et enfin n’importe quel muscle. Ce lacertus / lacerta n’a pas servi à former en français des noms en lien avec les muscles, mais il se trouve être à l’origine des formes savantes synonymes lacertiens et lacertiliens, qui désignent un sous-ordre de reptiles, mais aussi de lézard (lazerde, puis laisarde en ancien français) et, par l’intermédiaire de l’espagnol el lagarto, « le lézard », de notre alligator.
Concluons en signalant qu’à travers ces deux noms d’animaux utilisés pour désigner les muscles, les Latins font preuve d’une grande qualité d’observation et nous donnent peut-être les clés d’une esthétique valorisant tantôt les corps aux muscles ronds comme des souris et tantôt les corps aux muscles longs comme des lézards.