Dans son Étude sur la vie privée au xve siècle en Anjou (1883), André Joubert établit une liste des objets que l’on trouvait ordinairement dans les fermes : « Une huche, un bûcher, une table, un banc, un casier à fromage, un rouet à brouette, un vaste lit pouvant contenir toute la famille et même plusieurs étrangers de passage qui ont réclamé l’hospitalité ». Parmi ces différents meubles on s’intéressera particulièrement au casier à fromage, puisque les deux noms qui composent ce syntagme sont liés par l’histoire. Casier est attesté depuis le xiiie siècle, avec le sens de « panier » ; il est tiré de chasière, lui-même issu de l’adjectif latin substantivé casearia, que l’on trouvait dans les locutions (sporta) casearia, « (panier) à fromage » ,et (forma) casearia, « (moule) à fromage ». Casearius, à l’origine de « casier », est en effet un dérivé de caseus, nom qui appartient à la même famille que l’allemand Käse, l’anglais cheese et l’espagnol queso, et qui, comme eux, signifie « fromage ». Notre casier est ainsi un parent de l’ancien adjectif caseux, qui figura dans les quatrième et cinquième éditions de notre Dictionnaire avec cette définition : « qui est de la nature du fromage », et de caséine.
Le fromage est d’un grand intérêt gastronomique, mais son nom est aussi d’une certaine utilité pour qui étudie l’histoire de notre langue. N’illustre-t-il pas par l’exemple, dans notre Dictionnaire, la définition de métathèse ? : « L’ancien français “formageˮ est devenu “fromageˮ par métathèse. » Notre fromage doit en effet son nom au latin formaticum, un dérivé de forma, « moule ».
Les contenants liés au fromage ont laissé d’autres traces dans notre langue : Faisselle, qui désigne un moule en osier et, par métonymie, le fromage blanc qu’on y fabrique, tire son nom du latin fiscella. Ce dernier est un diminutif de fiscus, qui a désigné un ouvrage de vannerie employé pour le pressage du raisin et des olives, puis une corbeille destinée à recevoir de l’argent. De ce sens on tira, par métonymie encore, celui de « trésor public », puis de « contribution versée à ce trésor » ; et c’est bien sûr à ce fiscus que l’on doit le français fisc. Quant au nom fourme, il est issu lui aussi, mais sans métathèse cette fois, du latin forma.
Ainsi donc, notre casier, contrairement à ce que l’on a cru parfois, n’est pas dérivé du nom case – que ce dernier désigne une petite maison ou bien le compartiment où loge chacune des pièces d’un jeu d’échecs ou de dames. Casier n’est pas non plus étymologiquement lié à caisse, ce nom étant issu du latin capsa, comme « châsse » et « capse » – ce dernier était encore présent dans les quatrième et cinquième éditions de notre Dictionnaire avec cette définition : « Espèce de boîte qui sert au scrutin d’une Compagnie. La Capse de Sorbonne », mais il en sortit après que la sixième édition eut déclaré à son sujet : « Il est vieux ».
Ajoutons pour conclure que capsa a eu des dérivés : capsella et capsula, signifiant l’un et l’autre « coffret », auxquels on a emprunté les formes « capselle », qui désigne une plante qui croît dans les terrains vagues et qui, pour la forme de son fruit, est aussi appelée « bourse-à-pasteur », et « capsule ».