Le nom terre est issu du latin terra. L’un et l’autre ont servi à former un grand nombre de dérivés désignant généralement des réalités concrètes. Ce sont, par exemple, à partir de terra, les noms « terroir » (terratorium), « territoire » (territorium), « terrain » (terranum, terrenum), « Méditerranée » (mediterraneum mare), et, à partir de terre, les noms « terrasse, terrassier, enterrer, déterrer, terril, terrier, terrine ». Ce dernier mot désigne un récipient en terre mais, dans Le Père Goriot, Balzac en fait aussi un domaine de peu d’importance, une petite terre, et quand Vautrin explique à Rastignac qu’il n’ignore rien de la pauvreté dans laquelle vivent les siens, il dit ceci : « La famille mange plus de bouillie de marrons que de pain blanc […]. Les choses sont comme cela chez vous, si l’on vous envoie douze cents francs par an, et que votre terrine ne rapporte que trois mille francs. »
Terra s’oppose surtout à mare, « la mer », et ce nom, tiré d’une racine *ters, se rattache au verbe latin torrere, « faire sécher, griller », mais aussi aux noms anglais, thirst, « soif », et toast, au sens de « tranche de pain grillé ». Terra signifie donc proprement « la sèche ». Cette vision de la terre comme élément sec se trouve aussi dans la Genèse, (I, 9 et 10) : « Dieu dit encore : Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu, et que l’élément aride paraisse (et appareat arida). […] Dieu donna à l’élément aride le nom de Terre (et vocavit Deus aridam Terram). »
Le correspondant de terra chez les Grecs est gê (ou gaia), nom auquel nous devons des formes plus abstraites et plus savantes comme géographie, géologie, géométrie. Gê a aussi un rôle beaucoup plus important dans la mythologie que terra ; elle est la mère des Géants et des Titans, qui sont d’ailleurs parfois regroupés sous le nom de gêgeneis, proprement « nés de la Terre ».
Il est amusant de constater que si gê a donné naissance à des créatures monstrueusement grandes, les Géants et les Titans, il est d’autres racines renvoyant à la terre, qui ont servi à nommer ce qui s’élève peu du sol, ce qui est de petite taille, voire nain.
Ainsi, chez les Grecs, la terre était également nommée khthôn, nom qui signifie aussi « sol », puis « pays, contrée », et d’où nous viennent autochtone, « issu du sol même », titre que revendiquaient fièrement les citoyens d’Athènes, ou chthonien, adjectif qualifiant les divinités souterraines. De la racine à l’origine de khthôn a aussi été tirée une forme khamai, signifiant proprement « à terre », et, par extension, « de petite taille ». C’est de là que nous viennent, après de nombreux détours, la forme germandrée, qui désigne une plante dont une variété a des feuilles semblables à celles des chênes, et qui, pour cette raison, est parfois appelée germandrée chêne nain, joli pléonasme puisque germandrée, issu du grec khamaidrus, signifie proprement « chêne qui s’élève peu au-dessus de la terre ». Cette forme khamai est aussi à l’origine de khamaimêlon, « pomme du sol », d’où nous vient notre camomille, et enfin de khamaileôn, le caméléon, c’est-à-dire le « lion de petite taille ».
La racine indo-européenne *khm, qui en grec donne khthôn, a donné le mot humus en latin, un autre nom de la terre. Ce dernier est intéressant parce qu’il porte en lui une part des fonctions dévolues au grec gê, c’est-à-dire la création d’hommes. C’est en effet de ce nom que dérivent les mots homo, « homme », et humanus, « humain ». Cette croyance dans le fait que les hommes sont nés de la terre est caractéristique de nombreuses autres civilisations ; ainsi gdonios, l’équivalent gaulois du latin homo et qui est issu de la même racine indo-européenne, signifie proprement « le terrestre ». Mais il y a aussi dans humus cette idée de petitesse que l’on avait dans le grec khamai, « à terre », puisque c’est par l’intermédiaire du latin humilis et humilitas que nous viennent les formes humble et humilité.