La dérivation est un extraordinaire outil qui a permis de forger de nombreux mots nouveaux. Ainsi, en français, un grand nombre de verbes, particulièrement du 1er groupe, sont dérivés de noms. C’est, entre mille autres exemples, le cas d’acter, batailler, cascader, divorcer ou écluser, qui viennent des noms acte, bataille, cascade, divorce et écluse. Mais le phénomène inverse existe aussi lorsque de verbes, du 1er groupe le plus souvent, sont tirés des noms, que l’on appelle alors déverbaux. Ce sont, par exemple, adresse, balade, couche, débauche ou échange, tirés respectivement des verbes adresser, balader, coucher, débaucher et échanger. Dans tous ces cas, le nom et le verbe relèvent de la même notion, et le passage de l’un à l’autre est transparent. Mais il est aussi quelques cas où l’on peut s’interroger sur la parenté existant entre deux mots de formes voisines mais dont les sens semblent bien éloignés. Parmi ces derniers, le couple formé du nom alaise, qui se rencontre sous les variantes alèze et alèse, et du verbe aléser. Alaise, qui désigne une pièce de tissu souvent imperméable que l’on place sous le drap de lit pour protéger le matelas, doit sa forme à une méprise qui a provoqué une mécoupure dans le groupe formé par l’article et le nom. On a écrit en effet l’alaise quand la forme ancienne était la laise. Ce n’est d’ailleurs pas le seul cas où l’article finit par se souder au nom qu’il détermine pour donner une nouvelle forme. Les noms lierre et loriot sont le résultat de la contraction de l’ierre, issu du latin hedera, de même sens, et de l’oriol, issu du latin auroleus, « qui a la couleur de l’or ». Quant à nombril, il est issu de un omblil, dans lequel on a cru que le n de l’article était la première lettre du nom. Signalons, dans le cas d’alaise, que cette mécoupure a été favorisée par un rapprochement avec la locution adjectivale et adverbiale à l’aise, parce que l’on pensait que cette toile donnait un surcroît de confort et de tranquillité à qui y reposait. Et, aussi étonnant que cela puisse paraître, notre forme alaise n’est pas sans rapport avec aléser, comme le montre l’histoire de ces deux mots.
Laise, qui désignait en ancien français une toile dont on garnissait un lit pour qu’il ne soit pas taché ou à l’aide de laquelle on déplaçait un malade, est issu du nom latin latia, « étendue », un dérivé de latus, « large ». En passant du latin au français, on est donc passé d’une idée d’étendue à une idée de protection. Or, cette notion d’étendue se retrouve encore un peu dans le verbe aléser, issu lui aussi de latus, mais par des voies un peu détournées : aléser, c’est-à-dire calibrer exactement, en l’élargissant, un trou préalablement ébauché dans une pièce de métal, vient en effet du latin populaire allatiare, « agrandir », un autre dérivé de latus. Le latin latia est aussi à l’origine, sans mécoupure cette fois, de laize, qui désigne à la fois la largeur d’une étoffe entre les deux lisières (on dit aussi lé), la largeur d’une bobine de papier, et, dans la langue de la marine, chacune des bandes de toile qui forment une voile. Quant à l’adjectif latus, il a donné l’ancien français led, puis lé. On a vu qu’il était parfois synonyme de laize, mais il peut désigner aussi chacun des panneaux de tissu dont l’assemblage donne plus ou moins d’ampleur à une jupe, à une robe et enfin un chemin de halage.
On retrouve encore latus dans des noms plus savants, comme latifundium, latitude ou laticlave, ou plus récemment dans l’adjectif latirostre qui, en zoologie, qualifie différents animaux ayant un large bec ou une large gueule, parmi lesquels on trouve plusieurs variétés d’oiseaux, un phasme, un caïman et un gecko.