Dire, ne pas dire

Jeter sa gourme

Le 13 mai 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

NOTRE DÉFINITION

Jeter sa gourme, en parlant d’un poulain ou d’un enfant, être affecté de la maladie de la gourme et, figurément et familièrement, en parlant de jeunes gens, se livrer aux plaisirs et à certains excès propres à la jeunesse.

 

L’HISTOIRE

Comme l’indique notre définition, la gourme désignait (depuis le xive siècle) une maladie du jeune cheval. Dès le xvie siècle, jeter sa gourme a pris le sens figuré de « faire ses premières folies » en parlant des jeunes gens.

Certains historiens de la langue pensent que c’est la métaphore médicale qui explique le glissement de sens : les frasques seraient une sorte de passage obligé, comme les maladies infantiles (la gourme désignait aussi l’impétigo des enfants).

D’autres linguistes font l’hypothèse d’une contamination entre la gourme, maladie du cheval et la gourmette, une chaînette métallique tenant à chaque côté du mors et passant sous la mâchoire inférieure du cheval, qui permettait de le contraindre et de le diriger (un cheval pouvait ainsi avoir la gourmette trop serrée). Il existait d’ailleurs une expression figurée, que donne la première édition de notre Dictionnaire, avec gourmette : rompre, casser sa gourmette, « se dissiper ou s’abandonner à ses passions après s’être contraint, après avoir vécu dans la retenue ». Sa signification est effectivement très proche du sens figuré de jeter sa gourme et il est plausible qu’il y ait eu une contamination de sens.

 

D’AUTRES EXPRESSIONS

Le monde du cheval nous a laissé beaucoup d’expressions figurées.

Avoir la fringale, « avoir une faim irrésistible », en est un premier exemple. Dans l’ancienne langue, la fringale désignait « une boulimie subite des chevaux », et c’est au tout début du xixe siècle qu’elle a pu se dire des hommes. Le mot fringale est la déformation – sans doute sous l’influence du terme fringant – d’une forme ancienne faim valle (fainvalle en moyen français), composée de faim et de valle, lui-même issu d’un terme breton gwall, « mauvais ».

Prendre le frein aux dents signifiait « prendre une bonne résolution et l’effectuer ». Cette expression, qui disparaît de notre Dictionnaire dès la 4e édition (1762), était concurrencée par prendre le mors aux dents, qui a fini par la remplacer. Il peut être intéressant de se pencher sur l’évolution du sens de cette dernière, dans laquelle le nom mors représente, comme l’ancien frein, « l’appareil qui se place dans la bouche du cheval pour le gouverner ». Si l’on en croit les premières éditions de notre Dictionnaire, l’expression a d’abord voulu dire « prendre une bonne resolution & l’effectuer ». Elle avait donc alors un sens positif et évoquait un sursaut moral. La deuxième édition (1718) est encore plus explicite : « Il se dit aussi de ceux qui ayant esté dans l’indolence ou dans le libertinage, prennent tout d’un coup la resolution de se corriger & de se porter au bien, & qui l’effectuent ». Or aujourd’hui, elle a une valeur morale négative et, pour notre Dictionnaire, elle « se dit d’une personne qui cède soudain à ses impulsions, ou s’emporte subitement ». De la bonne résolution, on est passé à l’impulsion. Cela étant dit, il est toujours question d’un emballement soudain, qu’il prenne la forme d’un redressement ou d’un relâchement. Et cet emballement, c’est celui du cheval qui tient le mors entre ses dents, empêchant ce mors de faire son office de contrôle.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Nous l’avons vu, le nom gourme désigne une maladie qui affecte principalement les jeunes chevaux. Ce mot (dont la variante méridionale était vorme) serait issu du bas francique wurm ou worm, « pus », et, pour certains linguistes, on pourrait y rattacher le mot morve.

En remontant plus loin encore dans le temps, les historiens de la langue font l’hypothèse que ces formes worm et wurm seraient de la même famille que le mot latin vermis, « ver » ; Wurm est d’ailleurs aujourd’hui le nom du ver en allemand et il entre dans la composition de Bïcherwurm, proprement « ver des livres », mais que nous traduisons, en reprenant un autre nom d’animal attaché à la vermine, par « rat de bibliothèque ».