Le mot table est polysémique en français. Dans son sens le plus courant, il désigne un meuble composé de pieds et d’un plateau, sur lequel on mange, on écrit, on travaille. Ce nom nous vient du latin tabula, dont le sens premier est « plateau, surface plane ». C’est de ce sens que viennent des expressions comme tables de la loi ou lois des douze tables. On a, dans ces deux cas, des surfaces planes, de pierre dans les premières, de bronze dans les secondes, mais destinées à être présentées verticalement, par opposition à la table évoquée plus haut, dont l’emploi réclame l’horizontalité. De ces tables supports de texte, on est passé, chez les apprentis mathématiciens, aux tables de multiplication et, chez ceux qui étaient plus avancés dans cette science, aux tables de logarithmes. Dans d’autres domaines on parlait plutôt de tableau. C’était le cas avec les tableaux de conjugaisons ou les tableaux de déclinaisons chez les grammairiens, sans oublier le fameux Tableau périodique des éléments, cher au cœur des chimistes. Comme il fallait aussi une surface plane aux peintres, on appela également tableau le support sur lequel ceux-ci peignaient. Les tablettes désignaient, quant à elles, les petites planches enduites de cire qui servaient d’écritoires aux enfants. Aujourd’hui ce nom s’emploie essentiellement pour désigner une plaque de chocolat et, par analogie, des abdominaux joliment dessinés. Dans cette famille on se gardera d’oublier la tôle et le tabellion, ce dernier étant le nom donné jadis aux notaires. En résumé, notre table est un nom féminin désignant un objet plat. Qu’en est-il chez nos voisins ? Si nous passons le Rhin, notre objet s’appelle Tisch et est un nom masculin, der Tisch. Pourquoi ce changement ? Parce que, dans l’imaginaire germanique ancien, l’essence de cet objet n’est plus d’être plat, mais d’être circulaire. Tisch est en effet issu du latin discus, un nom masculin lui aussi. Nous avons également hérité ce discus, dont nous avons fait disque, palet utilisé dans les compétitions d’athlétisme mais aussi galette sur laquelle on enregistre musique et chansons. Nos amis anglais ont pris, sans le modifier le mot discus comme terme de sport, mais, pour le support des enregistrements, ils ont utilisé record ; on ne s’intéressait plus à l’objet, mais à l’enregistrement lui-même, au témoignage qu’il représente. Ce record est tiré de l’ancien français recorder, « se souvenir de », lui-même issu du latin recordari, qui a la même signification, et auquel on doit encore l’italien ricordarsi et l’espagnol recordarse. Tous mots remontant, in fine, au latin cor, cordis et renvoyant à l’idée de conserver dans son cœur, idée que l’on retrouve dans les locutions apprendre par cœur et savoir par coeur. On conclura ce voyage outre-Manche en rappelant une autre forme issue de discus : dishes, « la vaisselle » et, proprement, « les assiettes et les plats ronds ».
Si nous franchissons les Pyrénées, nous trouvons une table appelée mesa. Cette forme est issue du latin mensa, qui désigne la table où l’on prend ses repas. Mais avant de prendre, par métonymie, ce sens, mensa a d’abord désigné un gros gâteau rond sur lequel on plaçait la nourriture offerte aux dieux.
De mensa viennent aussi quelques noms français : la mense, la portion des biens qui fournissent un revenu à une communauté ecclésiastique ou à un prélat, ces biens étant essentiellement à l’origine des denrées alimentaires ou le produit de la vente de ces dernières ; il y a aussi la moise, qui désigne, dans la langue de la charpenterie, chacune des deux pièces plates et jumelles que l’on fixe par des boulons de part et d’autre de certaines autres pièces, faibles ou rompues, afin de les renforcer ou de les rendre solidaires. Mais la forme la plus connue est une forme savante, il s’agit du commensal. Ce nom, emprunté du latin médiéval commensalis, « compagnon de table », a d’abord désigné un officier de la Couronne ou des maisons royales ; c’est aujourd’hui une personne qui partage ordinairement les repas avec un autre convive et enfin un animal associé à la vie d’un autre et qui profite de sa nourriture sans lui porter préjudice. On dit ainsi que le rémora est le commensal du requin. Ajoutons enfin un nom venant cette fois directement de l’espagnol, la mesa, qui, en géologie, désigne un plateau formé par les restes d’une coulée basaltique.
Si nous passons les Alpes, nous retrouverons cette mensa. C’est le nom italien, lié là encore à l’idée de repas pris en commun, de la cantine. Quant à notre table, elle s’appelle tavola, mot qui peut aussi désigner une planche. Cette même langue a également conservé une forme identique à l’étymon latin, tabula, dans l’expression fare tabula rasa, « faire table rase ».
Il est temps d’achever notre voyage. Quand il est question de langue, un détour par la Grèce s’impose. Dans ce pays, table se dit trapeza, une forme abrégée de tetrapeza, où l’on reconnaît tetra, « quatre », et peza, une forme signifiant « pied ». Dans l’imaginaire grec, ce qui caractérise la table, ce n’est ni qu’elle soit plate, comme en latin ou en français, ni qu’elle soit ronde, comme chez nos amis allemands, ni que ce soit le lieu des repas, comme chez nos amis espagnols, mais qu’elle ait quatre pattes. Par la suite trapeza désigna tout type de meuble à quatre pattes, en particulier les étals des changeurs, puis, par métonymie, les banques. Nous n’avons pas retenu ces sens quand nous avons emprunté ce mot sous la forme trapèze, ce dernier n’étant pour nous qu’une figure géométrique à quatre côtés ou un agrès utilisé dans les gymnases et les cirques.