Scrupule et calcul sont deux mots de sens éloignés qui, parfois, s’opposent. On dira ainsi que, pour arriver à ses fins, tel ou tel se livre à de froids calculs et agit sans scrupules. Et pourtant, les noms latins dont ils sont tirés étaient synonymes.
Scrupule est emprunté de scrupulus, un diminutif de scrupus, désignant une pierre pointue. Le scrupulus était donc une petite pierre qui, glissée dans une sandale par exemple, gênait la marche et empêchait d’aller librement. En passant du concret à l’abstrait, scrupulus en est venu à désigner un sentiment d’inquiétude, un embarras voire un remords qui interdit toute quiétude. Ce sens se trouve, par exemple, dans le Pro Amerino de Cicéron : « ex animo scrupulum evellere », « arracher de l’esprit un souci » ou, pour garder une expression figurée, « tirer une épine du pied ». À ces significations s’est ensuite ajouté un sens en métrologie, celui de « plus petite division d’une unité de mesure ». Le scrupulum était la vingt-quatrième partie de l’once, puis de l’heure. Ces sens, qui se sont maintenus jusqu’au xixe siècle, sont aujourd’hui sortis d’usage mais on lisait dans l’édition de 1835 du Dictionnaire de l’Académie française, à l’article Scrupule : « Petit poids de vingt-quatre grains, c’est-à-dire, du tiers d’un gros. Un scrupule de rhubarbe. Il se dit aussi, en termes d’astronomie, d’une très-petite partie de la minute. » Balzac l’emploie encore, de manière figurée, dans Le Curé de village : « Il [le père Pringet] n’obligeait ou ne désobligeait personne, et n’avait pas fait un scrupule de bien dans le faubourg Saint-Étienne. » Ce sens, aujourd’hui disparu au profit du nom once, a influé sur le premier sens figuré de scrupule pour donner naissance à celui que nous connaissons mieux, celui de « souci vétilleux, attention donnée aux plus petits détails ».
Le mot scrupule a donc eu deux sens ; il en est de même pour calcul, mais celui-ci les a conservés tous deux. En réalité, il existe deux noms calcul. Le plus en usage est un déverbal de calculer, lui-même emprunté du latin calculare, « calculer, faire des opérations, supputer ». Quant à calculare, il est dérivé de calculus, qui désigne une petite pierre, un petit caillou. Ces petits cailloux avaient de nombreux usages et, particulièrement, celui de servir à compter. Mais on les employait aussi pour voter. Ils étaient alors blancs ou noirs. Mettre un caillou noir dans l’urne signifiait que l’on condamnait l’accusé, mettre un caillou blanc qu’on l’acquittait. On plaçait aussi des cailloux blancs sur les calendriers pour marquer les jours qui avaient été heureux. Notre langue a conservé la mémoire de cet usage avec l’expression « jour à marquer d’une pierre blanche ».
Mais il existe aussi, en français, un autre nom calcul ; celui-ci nous vient directement du latin calculus et désigne une concrétion minérale qui se forme dans un viscère creux ou, plus simplement, un petit caillou qui se forme dans les reins, la vésicule, la bile, etc. Ce mal, appelé scientifiquement lithiase, tiré du grec lithos, « pierre », était autrefois nommé maladie de la pierre, mal dont souffrait Montaigne et qu’il évoque à plusieurs reprises dans ses Essais. À ceux qui étaient atteints de ce mal, on prescrivait jadis un remède appelé casse-pierres, décoction faite à base d’une plante du même nom dont on supposait qu’elle pouvait dissoudre ces petites concrétions. On avait en effet remarqué que ces végétaux poussaient au creux des rochers ou dans de vieux murs et l’on pensait qu’elles brisaient les pierres avec leurs racines pour mieux s’installer et croître à leur aise. Ce terme fut ensuite remplacé par celui de saxifrage, composé à l’aide du latin saxum, « rocher », et frangere, « briser », terme qui ne désigne plus aujourd’hui que la plante puisque l’inefficacité du remède a conduit à sa disparition. Aujourd’hui la médecine utilise, pour détruire ces amas pierreux, un appareil les pulvérisant grâce à des ondes et appelé lithotriteur, nom composé à partir de racines grecques proches des racines latines de saxifrage, puisqu’il est formé à l’aide de lithos, « pierre », et tribein, « user, briser ». Notons, pour conclure sur cette maladie, qu’on l’appelait encore gravelle, nom dérivé de l’ancien français grave, « gravier », et dont on a tiré graveleux, pour désigner d’abord celui qui souffre de cette douloureuse maladie, puis, par analogie et adjectivement, pour qualifier ce qui blesse la délicatesse, la bienséance.