Le verbe rompre entre dans la composition de très nombreuses expressions, figurées ou non. Le sens de la plupart d’entre elles se laisse aisément deviner, comme celui de rompre des lances, expression empruntée au vocabulaire de la chevalerie. D’autres sont moins claires, comme rompre l’anguille au genou, qu’on emploie pour évoquer quelqu’un qui use bêtement et en vain sa force. Rompre les chiens appartient d’abord au vocabulaire de la vènerie et signifie que l’on empêche les chiens de continuer la chasse, surtout s’ils se sont fourvoyés et ne poursuivent pas le bon gibier. Cette expression signifie figurément aujourd’hui, comme on le lisait déjà dans la première édition de notre Dictionnaire : « Empescher qu’un discours qui pourroit avoir quelque mauvaise suite ne continuë ». La paille est rompue est une expression dont le sens est moins clair. Il s’agit de la modernisation d’une forme médiévale li festus est rous (« le fétu est rompu »), ce qui signifie que, quand le fétu, ancien nom de la paille, est coupé, le fruit n’a plus qu’à tomber, que tout est terminé. Cette expression se trouve déjà dans Le Roman d’Alexandre et Le Roman de Renart et il en existe quelques variantes, comme li festus est tous, « la paille est tondue ».
Le verbe rompre, qui est au cœur de ces expressions, est issu du latin rumpere qui, sous une forme ou une autre et à l’aide de ses dérivés, est à l’origine de nombreux mots français. Là encore, il en est dont le lien avec cette forme de départ est évident, comme interrompre, corrompre, éruption, irruption, rupture.
Mais il en est d’autres dont le rapport avec rompre est moins direct. Ainsi, les adjectifs abrupt et rupestre. Le premier est emprunté du latin abruptus, « escarpé, coupé brusquement », lui-même participe passé de abrumpere, « détacher en brisant ». La sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française écrivait, fort justement, au sujet de cet adjectif : « Il se dit Des terrains et des rochers bizarrement coupés, et comme s’ils avaient été rompus. » Le deuxième est tiré du latin rupes, qui désigne une roche et, plus précisément, une roche résultant de quelque fracture. Rupestre va donc qualifier ce qui concerne les roches et, spécialement, les parois des cavernes.
Parmi les noms appartenant à la large famille de rumpere, on trouve le mot roture. Il s’agit d’un doublet populaire de rupture, qui a d’abord désigné le défrichement d’une terre, puis la terre elle-même. Roture a ensuite désigné la taxe payée à un seigneur pour ce défrichement, puis le bien soumis à cette taxe, c’est-à-dire un bien non noble. Roture est issu de rupturus, participe futur de rumpere, dont le participe passé ruptus a donné notre route. La route, c’est la via rupta, la route ouverte, frayée, l’endroit où l’on a rompu les obstacles et creusé le sol pour ouvrir un passage. Route avait un homonyme homographe en ancien français, de même étymologie, mais qui désignait une troupe, une bande de soldats détachés de leur armée et vivant essentiellement de rapines. Les Anglais nous ont emprunté ce mot pour en faire leur rout, qui désigne aujourd’hui une foule bruyante ou, dans le domaine du droit, un attroupement illégal, et enfin une soirée mondaine où se presse une foule nombreuse. C’est ce dernier sens qui est à l’origine de notre raout. C’est aussi de l’ancien français route, au sens de « bande d’hommes armés », que nous vient le nom routier, qui, autrefois, ne désignait pas de sympathiques chauffeurs de camion – dans les cabines desquels, nous apprend certain dictionnaire, sont affichées des pin-up –, mais des soldats irréguliers et des bandits de grand chemin, qui, aux xiie et xiiie siècles, mirent à sac les provinces de notre pays.