Avant d’être des noms communs rodomont et matamore ont été les noms de héros littéraires. Rodomont vient de Rodomonte, proprement « ronge-montagne », personnage du Roland furieux que l’Arioste avait emprunté au Roland amoureux de Boiardo. Le Rodomonte de Boiardo est un roi d’Alger, brave et belliqueux, mais altier et insolent, une série de traits que lui conserva l’Arioste. Ainsi, il n’hésite pas à affronter une terrible tempête et à défier les flots déchaînés :
« Souffle vent, disais-je, si tu sais souffler ; car je veux traverser cette nuit en dépit de toi. Je ne suis ni ton vassal, ni celui de la mer pour que vous puissiez me retenir ici à votre disposition. »
Et Rodomonte fera la traversée, quitte à y perdre, et ce fut ce qui arriva, toute sa flotte.
Moins de cinquante ans après le décès de l’Arioste, rodomont devenait, en français, un nom commun désignant un fanfaron, un fier-à-bras, alors que, jusqu’à la fin du xvie siècle, les noms rodomont et rodomontade n’étaient pas dévalorisants. C’est à cette époque que Brantôme écrit ses Discours d’aucunes rodomontades et gentilles rencontres et paroles espagnoles. Ce livre, qui met en scène des conquistadors, les présente sous un jour favorable, « d’autant qu’il faut confesser », ajoute l’auteur « [que] la nation espaignolle [est] brave, bravache et valleureuse, et fort prompte d’esprit et de belles parolles profférées à l’improviste ».
Une dizaine d’années plus tard, les Espagnols ne sont plus perçus comme de courageux guerriers, mais comme des fanfarons : c’est, en tout cas, le portrait qu’en fait en 1607 Nicolas Baudouin dans ses Rodomontades espagnoles. Colligées des Commentaires de tres-espouvantables, terribles et invincibles Capitaines, Matamores, Crocodilles et Rojabroqueles, (ce dernier nom signifiant proprement « boucliers rouges »).
Ce livre aura un grand succès, puisqu’il connaîtra une vingtaine de rééditions, traductions ou adaptations dans le même siècle. Le préfacier essaiera de voiler un peu ses attaques en écrivant : « Vous ne trouverez aucune chose sinon quelques risees honnestes, sans faire tort ou injure à aucune creature, ny mesme aux Espagnols, le nom desquels est icy un nom emprunté », mais le livre fera que les rodomontades deviendront, pour les Français, emblématiques du caractère espagnol. Ils seront aidés en cela par le nom matamore, qui, lui, est d’origine espagnole. Il est en effet emprunté de Matamoros, proprement « le tueur de Maures », et désigne un faux brave qui ne cesse de chanter ses exploits et fuit au moindre danger. Ce Matamore va vite devenir un personnage de comédie dont Corneille fixera définitivement les traits dans L’Illusion comique.
Il s’agit là d’un type humain universel, hâbleur et vantard, dont Plaute avait déjà fait le sujet d’une de ses pièces, le Miles gloriosus, « Le Soldat fanfaron ».
Notons pour conclure que rodomont n’est pas le seul nom tiré des œuvres de Boiardo et de l’Arioste, puisque notre sacripant nous vient aussi d’un de leurs personnages, Sacripante, un valeureux et courageux roi de Circassie, qui, en passant de nom propre italien à nom commun français, va devenir un mauvais sujet ou un séducteur compulsif. Ne lit-on pas dans Rocambole, de Ponson du Terrail : « Un vaurien, un sacripant qui se moque de la vertu des femmes, de l’honneur des maris » ?