Il existe, outre La semaine des quatre jeudis, d’autres expressions pour désigner ce qui n’arrivera jamais, comme Quand les poules auront des dents. Dans Le Petit Coq noir, Marcel Aymé détourne malicieusement le sens de cette formule avec l’aide d’un renard qui veut convaincre un jeune coq de venir vivre en forêt, avec toutes les volailles du voisinage parce que, bientôt, elles pourront s’y défendre : « Mon pauvre ami, tu te plains de n’avoir ni dents ni ailes, mais comment veux-tu qu’il en soit autrement ? Les maîtres vous tuent avant qu’elles aient poussé ! Ah ! ils savent bien ce qu’ils font, les gredins… mais sois tranquille, les dents viendront bientôt, et si drues que vous n’aurez à craindre, ni de la belette ni de la fouine. […] Il y aura quelques précautions à observer dans les premiers temps, mais vous n’aurez plus rien à craindre quand les poules auront des dents. »
Il se trouvera sans doute quelque esprit fort pour se moquer de la naïveté du petit coq éponyme. Agir ainsi serait oublier que le malheureux gallinacé était un précurseur, puisque, un demi-siècle après qu’on eut écrit son histoire, les paléontologues commencèrent à dire que ces poules descendaient des dinosaures, ou, mieux, étaient des dinosaures, et que celui auquel elles ressemblaient le plus n’était pas quelque paisible herbivore, mais le plus terriblement endenté des carnivores, le formidable tyrannosaure.
L’expression Aux calendes grecques exprime également cette idée. Nous savons grâce à Suétone qu’Auguste utilisait déjà ce tour et qu’il étonnait : « Dans sa conversation journalière il employait maintes fois certaines locutions curieuses ; maintes fois, par exemple, lorsqu’il veut faire entendre que tels débiteurs ne s’acquitteront jamais, il écrit qu’ils s’acquitteront aux calendes grecques (ad calendas graecas) » (Auguste LXXXVII). On rappellera en effet que les calendes appartenaient au calendrier romain, qui leur doit son nom, et non au calendrier grec. C’est Rabelais qui, dans Gargantua, a introduit cette expression en français, pour se plaindre de certaines lenteurs de la justice, « Les magistrats sur ce point firent vœu de ne plus se décrotter, maître Jeannot et ses partisans firent vœu de ne plus se moucher jusqu’à ce que fût rendu l’arrêt définitif. Ces vœux leur valurent d’être demeurés jusqu’à présent crottés et morveux, car la cour n’a pas encore débrouillé toutes les pièces du procès. L’arrêt sera prononcé aux prochaines calendes grecques, c’est-à-dire jamais. »
La littérature antique aimait beaucoup mettre en scène des phénomènes censés ne jamais pouvoir se produire. Elle en fit même un procédé littéraire, les adunata, proprement, « les choses impossibles ». C’était une figure fort courante dans la poésie amoureuse où l’on voyait, par exemple, l’amant promettre à sa belle que l’on verrait voler les poissons avant qu’il ne cessât de l’aimer. On l’employait aussi pour louer le talent surnaturel d’un artiste. On lit ainsi dans Les Bucoliques, de Virgile (chant VIII), quand le narrateur évoque les chants et les combats des bergers Damon et Alphésibée : « La génisse charmée oublia pour les entendre l’herbe des prairies ; les lynx s’arrêtèrent, saisis de leurs accords ; les fleuves suspendirent leurs cours et se reposèrent » ou encore : « On va voir les griffons s’unir aux cavales, et désormais les daims timides iront avec les chiens se désaltérer à la même source. » On retrouve ce même procédé pour évoquer un grand malheur laissant supposer que l’ordre du monde était bouleversé. On lit ainsi dans Médée, d’Euripide (410) : « Les fleuves sacrés remontent à leur source » ou dans Thyrsis, de Théocrite (132 et ssqq.) : « Maintenant, buissons et ronces, portez des violettes ; narcisses, fleurissez sur les genévriers […] ; que le pin donne des poires ; que le cerf harcèle les chiens. »
Le recours à ces adunata pour dire « jamais » est commun à nombre de langues : le russe dit « quand l’écrevisse sifflera sur la montagne », l’allemand « wenn Ostern und Pfingsten auf einen Tag fallen » (« quand Pâques et la Pentecôte tomberont le même jour »). Nos amis anglais, pour évoquer ce type de situation, disent « when pigs fly » (« quand les cochons voleront »). Nous avons commencé avec Marcel Aymé, c’est avec lui qu’il faut conclure, puisque, grâce à lui, ce prodige est arrivé. Dans La Buse et le Cochon, il nous conte l’histoire d’un porc sur le corps duquel, pour qu’il échappe au couteau de ses maîtres, un bœuf fort savant et quelque peu sorcier, adapte des ailes arrachées peu avant à une buse : « Le cochon fit trois pas à leur rencontre, et déployant ses belles ailes neuves, s’éleva gracieusement dans les airs. […] Les yeux ronds et la bouche ouverte, ils regardaient leur cochon qui volait en rond au-dessus de la cour, tantôt les ailes battantes, s’élevant plus haut que les cheminées de la maison, tantôt planant et descendant jusqu’à effleurer les cheveux blonds des deux petites… »