Le chiffre sept est un peu magique. Choses et gens semblent chercher sa protection et se ranger sous sa bannière, dans une forme d’inventaire à la Prévert. Sept, comme les sept samouraïs, les Sept contre contre Thèbes ou les sept nains qui recueillirent Blanche-Neige. Sept, comme les couleurs de l’arc-en-ciel, les merveilles du monde, les jours de la semaine. Sept, comme les péchés capitaux ou la somme des vertus cardinales et théologales. La grammaire ne semble pas insensible aux blandices de ce chiffre : sept, comme les conjonctions de coordination, sept comme les noms en -ou qui prennent un x au pluriel (bijou, caillou, chou, genou, hibou, joujou et pou), sept toujours, comme les noms en -ail dont le pluriel est en -aux (bail, corail, émail, soupirail, travail, ventail et vitrail). Sept encore, comme les noms en -al dont le pluriel est en -als (bal, cal, carnaval, chacal, festival, récital et régal). Ceux-ci sont des exceptions à la règle qui veut que les mots en -al aient un pluriel en -aux. L’histoire est connue : au Moyen Âge, le pluriel de cheval était, de façon régulière, chevals, mais au contact de s, le l s’est vélarisé et a fini par se prononcer u. On a alors écrit, conformément à la prononciation, chevaus. Pour noter le groupe us, les copistes utilisaient une ligature qui ressemblait beaucoup à notre x. On écrivait donc chevax. Mais, peu à peu, on oublia que ce signe était une ligature et l’on rétablit la lettre u en pensant qu’elle avait été omise. On écrivit désormais chevaux. À cette règle, qui vaut pour tous les noms en -al, il y a donc, ô merveille, sept exceptions, tous mots apparus assez tardivement dans notre langue.
Ou plutôt il y avait car, hélas, ce joli temps n’est plus. Quelques bestioles sont venues mettre à mal cette belle harmonie : des caracals, des gavials, des gayals, des narvals, des quetzals, des rorquals et des servals. Elles nous arrivent de partout. Le caracal est une variété de lynx d’Asie et d’Afrique qui doit son nom à ses oreilles, terminées par un pinceau de poils noirs : caracal vient en effet, par l’intermédiaire de l’espagnol caracol, du turc qara qulaq, « oreille noire ». Il n’est pas le seul à tirer son nom d’une couleur, puisque quetzal, qui entre dans la composition du nom du dieu Quetzalcoatl, « serpent à plumes », signifie proprement, « plume verte ». Les paronymes gavial et gayal viennent de l’hindi, le premier de ghariyala, mot tiré du népalais ghara, « pot en terre cuite », parce que les mâles de ces crocodiliens ont au bout du museau une excroissance rappelant cet objet ; le gayal est, quant à lui, un paisible ruminant qui tire son nom d’une racine indo-européenne gwo-, désignant un bovin, que l’on retrouve dans le latin bos et le grec bous. Le rorqual et le narval, cétacés des mers froides, ont l’un et l’autre un nom formé à l’aide de l’ancien scandinave hvalr, « baleine » (aussi à l’origine de l’anglais whale et de l’allemand Wal). Le narval doit la première partie de son nom à l’ancien scandinave nar, qui désignait un cadavre (la couleur gris pâle de ce mammifère rappelait celle des noyés). C’est aussi une couleur qui est à l’origine du nom rorqual, dont le premier élément viendrait d’une forme rhaudr, « rouge, rougeâtre ». Signalons cependant que Cuvier rattachait ce nom à ror, « tuyau », en raison des nombreux plis en forme de tuyaux que l’on trouve sous la gueule de cet animal. Le narval est aussi appelé « licorne de mer » et, comme la licorne, est un symbole de pureté. On pensait au Moyen Âge que sa dent en forme de corne pouvait servir à révéler la présence d’un poison. Maurice Druon s’en est souvenu quand il écrivit dans La Louve de France : « Mortimer prit l’habitude [...] de faire éprouver son vin avec une corne de narval, précaution contre le poison. » Reste le serval, dont le nom vient, par l’intermédiaire du portugais cerval, du latin cervus, car l’on trouvait que ce félin haut sur pattes avait le port majestueux du cerf. Il s’agit pourtant bien d’un félin, et c’est à cette caractéristique qu’il doit son autre nom, qui n’est plus guère en usage aujourd’hui : chat-pard. Mais, à y bien regarder, ces animaux ne brisent pas vraiment notre belle harmonie septénaire, puisque, si on les compte, caracal, gavial, gayal, narval, quetzal, rorqual et serval, nous retrouvons encore le chiffre sept. On se réjouira donc que l’orignal ait reçu son nom de Français émigrés au Canada : ce mot est en effet une altération du basque oregnac, pluriel d’orein, « cerf », à partir duquel nos amis québécois ont naturellement forgé un pluriel régulier, orignaux.