Redresser l’usage en matière de langue est une tâche infinie commencée il y a bien longtemps. On peut citer, parmi ceux qui s’en chargèrent, Probus, au iiie siècle de notre ère ; un certain Ménudier, au xviie siècle ; MM. Noël et Chapsal, au xixe siècle ; Étienne Le Gal, au xxe siècle, et bien d’autres encore qui, tous, s’efforcèrent de combattre les mauvais usages et d’indiquer quels étaient les bons. Nous devons aujourd’hui ajouter à cette liste Prosper Barthélemy, auteur de L’Omnibus du langage, qui donna à son ouvrage, paru en 1830, un second titre évoquant les figures exterminatrices de films des années 1980 : Le Régulateur des locutions vicieuses, des mots détournés de leurs sens, des termes impropres, de toutes les fautes qui échappent à l’ignorance ou à l’inattention. Cet ouvrage est une mine. On y découvre, entre mille autres merveilles, la nuance existant entre entendre la raillerie, « railler avec esprit », et entendre raillerie, « ne pas s’offenser des moqueries dont on est l’objet », nuance encore présente dans la sixième édition de notre Dictionnaire et chez Littré, mais qui semble s’être perdue depuis. On y lit que de suite peut s’employer correctement au sens d’« avec ordre et méthode », mais qu’il est incorrect de lui donner celui de « tout de suite ». Si l’on sait qu’en anglais les noms de navires sont féminins, on ignorait, avant de lire ce livre, qu’il existait un cas semblable en français, puisque l’on devait dire la navire Argo. Ce point était noté dans les quatre premières éditions de notre Dictionnaire : « Il faut remarquer qu’encore que ce mot soit tousjours masculin, cependant il devient feminin, quand on parle du vaisseau des Argonautes, qu’on appelle La navire Argo. » Littré, lui, écrit à ce sujet : « Ce mot a été longtemps d’un genre incertain, tantôt masculin, tantôt féminin. » Malherbe l’a fait féminin dans Les Larmes de saint Pierre : « Car aux flots de la peur sa navire qui tremble, / Ne trouve point de port… » et Ménage pensait qu’en haute poésie la navire valait mieux que le navire. L’usage dominant a fini par tuer l’exception. C’est aussi ce qui est arrivé avec les formes concurrentes en perfection et à la perfection. Barthélemy condamne la seconde et ne veut que la première. Dans les sept premières éditions de son Dictionnaire, l’Académie française ne mentionnait qu’« en perfection » ; la huitième édition mettait ces deux locutions sur le même pied et l’actuelle édition note « on a dit aussi en perfection ». Certaines fautes semblent plus tenaces que d’autres : elles ont été signalées par Barthélemy et le furent encore presque deux siècles plus tard dans Dire, ne pas dire. C’est le cas, par exemple, de la confusion entre les locutions participer à et participer de (on doit dire : « La nature de l’homme participe de celle de la brute et de celle de Dieu » et « C’est participer au crime que de ne pas l’empêcher lorsqu’on le peut »).
Cet ouvrage donne cependant des raisons d’espérer. Il présente en effet comme courantes des fautes qui, sans doute grâce à l’école, ne se rencontrent plus aujourd’hui. Il écrit « sentir à bon ; à revoir, il faut dire sentir bon, au revoir ». Il condamne aussi venir meilleur pour « devenir meilleur », Je m’avais fié pour « Je m’étais fié », Je vous ai observé que pour « Je vous ai fait observer que », Je m’avais mis dans la tête pour « Je m’étais mis dans la tête », décesser pour « ne pas cesser », voix de centaure pour « voix de Stentor ».
Restons cependant vigilants puisqu’on lit que l’on doit dire Je vous salue tous et non Je vous salue à tous, tournure fautive qui, hélas, fait son retour depuis peu…