Il existe des perruches qui ne peuvent être élevées que par couple, et dont on prétend que si l’une meurt, l’autre ne lui survit guère. On les appelle des « inséparables ». C’est également le triste sort des sarcelles, héroïnes éponymes de la nouvelle de Maupassant, mais aussi celui des couples fameux de la littérature que sont Philémon et Baucis, transformés en arbres pour que la mort ne les sépare pas, Pyrame et Thisbé et, plus près de nous, Roméo et Juliette. Cette incapacité à vivre seul touche aussi quelques mots mais, contrairement à nos héros, les couples lexicaux dont nous allons parler sont inégaux : l’un est tout à fait autonome, l’autre est parfaitement dépendant.
C’est d’abord le cas de fur, qui ne peut vivre sans mesure. Voici pourtant un nom qui avait belle allure. C’est un descendant du latin forum, non pas quand ce mot est le symbole de la vie publique, mais quand il a son sens premier de « marché », puis de « prix du marché ». Le mot fur, entré dans notre langue sous la forme fuer, signifie « taux, proportion », sens qu’il partage avec mesure, auquel il donne toute sa force en le redoublant dans la locution au fur et à mesure, unique trace aujourd’hui de son existence.
Le cas de prou, qui ne se rencontre jamais sans peu et toujours dans la locution peu ou prou, est assez similaire. Cet adverbe, avant d’avoir le sens de « beaucoup, assez », a d’abord été un nom, proud, qui désignait un profit, un avantage, lui-même issu de l’adjectif latin prode, « profitable », tiré de prodesse, « être utile ». Son étymologie fait donc de notre prou un cousin de l’invitation à boire de nos amis allemands, prosit, souvent abrégée en prost, qui n’est autre que le subjonctif du même verbe prodesse (proprement « que cela [vous] soit utile, favorable »).
Semblable aventure est arrivée à l’adverbe hui, privé d’existence autonome et qui ne se lit plus que dans la locution adverbiale « aujourd’hui », un des plus beaux exemples de redondance de notre langue, puisque hui est issu du latin hodie, contraction de hoc die, « ce jour ». À cette parenté sémantique entre hui et jour, s’en ajoute une autre, étymologique : jour est en effet issu de diurnus, dérivé de dies, que l’on retrouve dans hodie et donc dans hui.
Son homonyme huis n’est guère mieux loti. Certes il existe quelques contes où l’on peut frapper (à) l’huis ou heurter l’huis, mais ces locutions sont senties comme des archaïsmes et, de nos jours, huis ne se rencontre que dans les locutions nominale « huis clos », et adverbiale ou adjectivale « à huis clos ». Le nom huis est issu du latin ostium, « entrée, porte » ; c’est donc un parent d’Ostie, l’ancien port de Rome situé à l’embouchure du Tibre. La parenté entre ostium et os, oris, qui désigne la bouche, fait donc que huis clos n’est pas si éloigné sémantiquement d’expressions comme bouche close ou clore le bec…