Deux petits tours et puis s’en est allé, c’est ce qu’a fait le nom coroner dans le Dictionnaire de l’Académie française. On ne trouve ce terme, qui désigne un officier de justice enquêtant sur les morts suspectes, que dans les éditions du xixe siècle (1835 et 1878), siècle qui fut, déjà, une grande période d’anglomanie. Parmi les noms désignant des représentants de l’ordre britannique, shérif a eu plus de succès, d’abord grâce au personnage de Robin des bois, qui avait pour ennemi juré le shérif de Nottingham, puis, de l’autre côté de l’Atlantique, aux nombreux westerns qui eurent ce personnage pour héros. Shérif prit place dans notre Dictionnaire en 1762 et s’y trouve toujours.
Homonyme de coroner, l’adjectif coronaire est entré lui aussi dans la quatrième édition de notre Dictionnaire et, lui non plus, n’en est jamais sorti. Coroner et coronaire peuvent être rapprochés pour leur homonymie, mais aussi pour leur origine. L’un et l’autre sont ainsi liés au mot couronne. L’anglais coroner, d’abord attesté sous la forme corowner, est un emprunt de l’anglo-normand coro(u)ner, un dérivé de corone, « couronne ». Cet officier était d’ailleurs appelé, en latin médiéval, custos placitorum coronae, « gardien des plaidoyers de la couronne », tandis que l’adjectif coronaire est une création d’Ambroise Paré, qui a tiré ce mot du latin coronarius, « qui est en forme de couronne », les artères coronaires étant ainsi disposées autour du cœur. C’est donc au latin corona qu’il nous faut remonter. De celui-ci a été tiré un diminutif corolla, « corolle » et, proprement, « petite couronne », dont le dérivé corollarium désignait une petite couronne qu’on donnait aux acteurs comme gratification supplémentaire, et que Boèce introduisit dans la langue des mathématiciens pour nommer une conséquence supplémentaire d’une démonstration, un corollaire. En latin médiéval, on appelait aussi corona un candélabre suspendu (candelabrum pensile). L’allemand a repris ce sens pour en faire un Kronleuchter, « un lustre » ou, mieux, « une couronne de lumière ».
Signalons que le latin corona est lui-même un emprunt. Il vient du grec korôné, de même sens, mais qui signifie d’abord « corneille ». C’est par analogie avec le bec courbé de l’oiseau que les Grecs ont donné ce nom à de nombreux objets, comme l’extrémité d’un arc ou d’un timon, la poupe d’un navire, ou une couronne. Sans doute faut-il rappeler que, dans l’Antiquité, la couronne, faite de feuilles ou de fleurs, réelles ou artificielles, était la récompense donnée au vainqueur d’une épreuve sportive ou à un soldat valeureux, et non le symbole de la royauté que nous connaissons aujourd’hui. Ces couronnes étaient très diverses. Parmi celles-ci on trouvait la couronne triomphale, une couronne de lauriers portée par le général vainqueur lors de son triomphe ; la couronne obsidionale, composée d’herbes et de fleurs sauvages et fabriquée par l’armée romaine sur le lieu où elle avait été assiégée, pour l’offrir à qui avait fait lever le siège et libéré la place ; on décernait la couronne civique, faite de feuilles de chêne, à celui qui avait sauvé la vie d’un citoyen au cours d’une bataille ; la couronne murale était, quant à elle, donnée à ceux qui, lors d’un assaut, étaient montés les premiers sur les murs d’une ville assiégée ; enfin, la couronne rostrale était décernée au général vainqueur d’un combat naval ou au soldat ayant le premier pris pied sur un bâtiment ennemi. Toutes les couronnes n’étaient cependant pas liées à la guerre. Le médecin danois Thomas Bartholin (1616-1680) rapporte, dans son De Puerperio veterum (« l’accouchement chez les Anciens »), qu’à Athènes on suspendait à la porte de la maison où venait de naître un garçon une couronne d’olivier, et des brins de laine si c’était une fille.
Concluons en rappelant que, si aujourd’hui les formes couronne et corneille sont relativement éloignées, tant à l’oral qu’à l’écrit, il n’en est pas de même pour leurs équivalents anglais puisque, outre-Manche, seul un n distingue la corneille (crow) de la couronne (crown).