Dans la cinquième partie du Discours de la méthode (1637), René Descartes montre à quel point les machines créées par les hommes sont imparfaites en comparaison des animaux créés par Dieu : « Ceux qui, sachant combien de divers automates ou machines mouvantes, l’industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes. »
Cette comparaison entre les animaux et les machines peut aussi se faire sur le plan du vocabulaire puisque, essentiellement par analogie de forme, nombre des premiers ont donné leur nom aux secondes. Et cet usage n’est pas récent puisque le plus souvent ces noms français sont tirés de formes latines ou grecques. Voyons-en donc quelques-uns.
Le bélier est sans doute l’un des plus connus. La propension de cet animal à frapper de sa tête encornée qui le dérange a fait que l’on a donné son nom à une machine servant à enfoncer des portes. D’abord porté par des hommes, celle-ci a gagné en efficacité quand elle a été posée sur des cordes qui permettaient de lui imprimer des mouvements plus rapides. Au livre x de sa Mécanique, Vitruve évoque cette machine et signale que, pour protéger ce bélier (aries en latin) des projectiles lancés par les assiégés, on avait créé une testudo arietaria, proprement une « tortue à bélier », mais cette tortue pouvait aussi, bien sûr, servir à protéger les mineurs chargés de saper les murailles des villes. Bélier n’est entré qu’au xve siècle dans notre langue. L’animal et la machine qu’il désigne aujourd’hui étaient autrefois appelés mouton, un nom qui désigne aussi aujourd’hui, une machine à enfoncer des pieux.
Le nom grue désigne un oiseau et un instrument de portage. Le latin grus, dont il est tiré, désignait également une machine si haute qu’on pouvait l’utiliser pour démolir une muraille en l’attaquant par son sommet. À cette machine munie de pinces en forme de bec de corbeau, les anciens donnaient également le nom de corax ou, de manière plus effrayante, de corvus demolitor, « corbeau démolisseur ».
Nombre d’armes de jet tirèrent également leur nom de celui d’animaux : l’onagre, une forme de catapulte, doit son nom au grec onagros, proprement « âne sauvage », un équidé qui avait la réputation de projeter des pierres quand il courait ; le scorpion désignait aussi une catapulte parce que la vitesse avec laquelle se relevait le bras de cette machine évoquait la vitesse avec laquelle le scorpion ramène sa queue sur son dos s’il se sent en danger.
Le développement de l’artillerie vit la naissance de couleuvrine et de serpentine, des pièces d’armurerie de faible calibre et parfois portatives, appelées aussi couleuvre ou serpent. Ce dernier désignait aussi, dans un registre beaucoup plus pacifique, un instrument dont la forme pouvait rappeler un serpent ondulant (quand ce dernier était muni de clés, on l’appelait naturellement ophicléide, « serpent à clés »). Une forme altérée de serpent est à l’origine de notre cerf-volant ; cerf est en effet la réfection de serp, forme ancienne de serpent...
Les textes anciens nous parlent aussi de capra, « chèvre », pour, un appareil de levage, généralement formé de poutres réunies en pyramide et qui porte à son sommet une poulie. On a donné aussi ce nom à un support dont la forme en X rappelle les cornes de notre caprin et sur lequel on place les pièces de bois à façonner ou à scier.
Notons pour conclure que ces noms d’animaux liés à la mécanique nous sont fournis essentiellement par des ingénieurs de l’Antiquité au nombre desquels on trouve Vitruve, Athénée de Naucratis, Philon de Byzance et enfin par Héron d’Alexandrie dont le nom n’a, hélas, rien à voir avec celui du volatile au long bec emmanché d’un long cou.