La version en ligne de notre Dictionnaire accompagne la définition de chaque verbe d’un tableau de conjugaison. Initiative heureuse et utile. Y sont déclinées les formes du verbe au présent, à l’imparfait, au passé simple, etc. Mais pas à l’aoriste. Il est vrai qu’aujourd’hui ce nom ne s’emploie guère qu’en grammaire grecque, dans quelques langues slaves ou en sanscrit, mais ce ne fut pas toujours le cas. On lisait ainsi dans la première édition de notre Dictionnaire :
« Aoriste, dans la langue françoise, se dit du preterit qui n’est point formé du verbe auxiliaire, avoir, ou estre. Je lû, je pensé, vous lustes, vous pensastes, nous lusmes, nous pensasmes, toutes ces inflexions du verbe Lire & penser sont à l’aoriste. »
Commentons dans un premier temps la recommandation concernant la prononciation. Il était en effet précisé « On prononce oriste », et on lisait encore dans la huitième édition (1935) : « ao se prononce o » ; à l’inverse, Littré écrivait en 1873 : « L’Académie dit qu’on prononce oriste ; cette prononciation n’est pas en usage, et, dans les colléges, on dit a-o-riste. » Pour déterminer l’usage, la foule des collégiens triompha des quarante académiciens et c’est bien « a-oriste » que l’on dit aujourd’hui. Dans les mots commençant par ao-, l’Académie eut plus de chance avec août, puisque son impérieux « Prononcez oût », qu’on lisait dans les 3e, 4e, 5e et 6e éditions, a, lui, bien été entendu.
Cette prononciation « a-oriste » a, il est vrai, l’avantage de bien montrer la formation de ce nom : un a-, tiré de l’alpha privatif du grec, et le participe passé du verbe horizein, « limiter, borner ». Aoriste est donc un parent d’horizon, tiré, lui, du participe présent de ce même verbe, l’horizon étant la ligne ou le cercle qui borne la vue et qui fait la limite entre le ciel et la terre ou la mer. Aoriste, par sa composition, est un parent d’un autre terme de grammaire qui, cette fois, nous vient du latin, infinitif. Ce dernier est en effet construit à l’aide du préfixe négatif in- et du nom finis, « limite, frontière, fin ». L’infinitif aoriste, que l’on rencontre en grec, se trouve ainsi être une forme verbale doublement sans limite.
On définissait donc aoriste par preterit. Là encore, l’Académie et Littré ne s’accordaient pas sur la prononciation de ce terme. Littré écrivait : « D’après l’Académie on prononce un peu le t ; mais ne pas le prononcer du tout est plus usuel. » La prononciation recommandée par l’Académie s’est néanmoins imposée, sans doute sous l’influence de l’anglais. Mais il faut rappeler que prétérit, qui fut longtemps en usage dans la grammaire française, était ainsi présenté dans la 1re édition de notre Dictionnaire : « Terme de Grammaire, dont on se sert en parlant de la conjugaison des verbes, & qui se dit de l’inflexion du verbe, par laquelle on marque un temps passé. » Le nombre de prétérits était assez mal fixé. En 1788, Féraud en comptait quatre et, aujourd’hui encore, on lira avec profit ce qu’il disait de leur emploi :
« Le prétérit simple ou défini (notre passé simple), que plusieurs apèlent aoriste, marque une chôse pâssée dans un tems dont il ne reste plus rien, et dans lequel on n’est plus : je fus malade l’année pâssée […]. »
« Le prétérit indéfini (notre passé composé) marque une chôse pâssée dans un tems que l’on ne désigne point ; ou dans un tems désigné, dont il reste encôre quelque partie à écouler. Exemple du premier : il a pâssé par Rome […]. Exemple du second : […] j’ai été malade cette semaine. »
« Le 3eprétérit est nomé antérieur (notre passé antérieur) : il exprime une chôse pâssée avant une aûtre, dans un tems dont il ne reste plus rien : Quand j’eus reçu mon argent, je m’en allai. »
« Le 4e prétérit peut être nomé prétérit antérieur indéfini, ou prétérit surcomposé (notre passé surcomposé) ; il marque une chôse pâssée avant une aûtre, dans un tems qui n’est pas tout-à-fait écoulé : Je suis sorti ce matin, quand j’ai eu achevé ma lettre. »
Littré lui aussi en comptait quatre, mais il remplaçait le prétérit surcomposé par le prétérit imparfait (notre imparfait). Ce dernier temps, joliment nommé dans la 5e édition de notre Dictionnaire présent relatif, servait aussi à former ce que Littré appelait prétérit antérieur relatif (notre plus-que-parfait).
On le voit, la grammaire a évolué dans la désignation des temps français : l’aoriste et les différentes formes du prétérit ont été en usage avant d’être remplacés par l’imparfait et les différents passés. Imparfait fut d’abord un adjectif. Les grammairiens du xvie siècle écrivaient preterit imparfait, tems imparfait passé imparfait. On ne trouve imparfait employé comme nom qu’au début du xviie siècle, mais cet emploi est longtemps resté très rare puisqu’on lisait encore dans la 6e édition du Dictionnaire, en 1835, à l’article Imparfait : « prétérit ou passé imparfait ou, substantivement imparfait ». Le mot passé, employé comme nom en grammaire, se rencontre, quant à lui, d’abord chez Louis Meigret qui, dans Le Tretté de la grammere françoeze (1550), emploie passé indéterminé, passé perfect. Mais, plus de deux siècles plus tard, en 1787, dans son Dictionnaire critique de la langue française, Féraud écrit encore à l’article Passé : « tems des verbes, voyez Prétérit ». En ce sens, passé était absent des cinq premières éditions de notre Dictionnaire. Il apparaît pour la première fois dans la 6e édition, avec la glose suivante : « Le prétérit, l’inflexion du verbe, par laquelle on marque un temps passé. Le passé défini. Le passé indéfini. Le passé l’indicatif, du subjonctif, de l’infinitif. »