La loutre est un animal aquatique. On a pensé, en raison de ses mœurs, que son nom latin, lutra, était peut-être formé à l’aide de lutum, « boue », et d’une forme ancienne udra, de même origine que le grec hudôr, « eau ». Dans cette dernière langue, le lien de cet animal avec l’eau est plus net puisqu’on la nomme enudris, proprement « (qui vit) dans l’eau ». Dans son De lingua latina, Varron écrit lytra, avec un y, parce qu’il rattache le nom de cet animal, qui « scie les racines des arbres sur la rive et les coupe », au grec luein, « détacher, dénouer », mais aussi « désagréger ». Sans doute notre philologue confond-il castor et loutre, même si cette dernière, comme l’écrit Buffon, « faute de poisson, d’écrevisses, de grenouilles, de rats d’eau et d’autre nourriture, coupe les jeunes rameaux et mange l’écorce des arbres aquatiques ». En ancien français, on la nommait leurre, loirre et lutre. Cette dernière forme, dans laquelle le t est conservé, était, comme loutre, un nom masculin, sans doute par influence de l’ancien allemand Otter. Loutre est encore un nom masculin chez Froissart, au xive siècle : « Loutre est une beste […] qui bien le veut prendre à force de chiens, si le chace en mars ou en septembre, que les eaux sont basses et les herbes petites. » On retrouve des traces de cet usage au masculin dans des patronymes. Nombre de patronymes en effet, en français comme dans beaucoup d’autres langues, sont tirés de noms d’animaux : rat, renard, loutre, etc., (dans son roman Vieille France, Martin du Gard nomme un de ses personnages Loutre). Le plus souvent, surtout si à l’oral ils sont monosyllabiques, ces noms sont précédés de l’article, et l’on a ainsi des Lerat, Lechat, Leloup, Lecoq, Lagneau, Lerenard, Lecerf, Labiche, Lepaon, etc., mais aussi des Leloutre, et non des Laloutre. Ce changement de genre n’est pas fort étonnant ; d’autres mots l’ont connu. Comme le nom chanvre encore féminin chez La Fontaine, qui écrit dans L’Hirondelle et les Petits Oiseaux : « Il arriva qu’au temps que la chanvre se sème, / Elle vit un manant en couvrir maints sillons » et, plus loin, « La chanvre étant tout à fait crue ».
Cela étant, les hésitations sur le genre du nom loutre sont peu de chose au regard de celles que l’on a eues sur la nature de cet animal. Ses mœurs aquatiques faisaient qu’on le rangeait, chez les naturalistes du Moyen Âge et de la Renaissance, dans les aquitalia, « les bêtes qui vivent dans l’eau ». Il s’y trouvait en compagnie des poissons et des coquillages, mais aussi, on le verra, des tortues, des poules d’eau ou des castors. La place de la loutre dans la classification zoologique fit longtemps l’objet de débats chez les théologiens, qui se demandaient quelles nourritures étaient autorisées pendant le carême. Dom Grégoire Berthelet s’en fit l’écho dans son Traité historique et moral de l’abstinence de la viande & des révolutions qu’elles a eües depuis le commencement du Monde jusqu’à présent, tant parmi les Hébreux, que parmi les Païens, les Chrétiens & les Religieux anciens & modernes, paru en 1731. Il y écrit : « Quoique la loutre soit fort différente du bièvre [du castor], on a cru trouver assez de ressemblance entre l’une et l’autre pour ne pas faire distinction de leur chair. Gesner, un important naturaliste du xvie siècle, dit que de son tems “les Chartreux ne faisoient point de difficulté d’en manger. On doutoit encore au commencement du dix-septième siècle si leur chair était de la nature du poisson”. Fagundez, un jésuite espagnol, auteur d’un Traité sur les Commandements de Dieu, met au même rang les poules d’eau, les loutres et les tortues, selon le principe de Jean Major (1634-1693) qu’“il n’y a que ce qui peut vivre long-temps hors de l’eau qui soit chair”. » Berthelet, on l’a vu, rapproche la loutre et le castor, mais on les distingua pourtant parfois. On savait en effet que les pattes arrière du castor sont palmées, tandis que les pattes avant ne le sont pas. Certains casuistes inférèrent donc de ce fait que, le castor étant chair par devant et poisson par derrière, on en pouvait consommer la partie arrière aux temps où la viande était interdite.