Ces deux noms sont homonymes mais, pour le sens et l’étymologie, ils sont entièrement différents. Le premier, kermès, apparaît à la fin du xve siècle et désigne une variété de cochenille qui vit en parasite sur certains arbres. Par métonymie, ce nom désigne aussi la teinture que l’on obtient à l’aide de ces insectes et, employé en apposition, dans l’expression chêne kermès, il désigne un petit chêne méditerranéen sur lequel vivent ces animaux. Ce nom, kermès, est emprunté, par l’intermédiaire de l’espagnol alkermes, de l’arabe qirmiz, « cochenille » ; il a de nombreux parents. D’abord, le plus proche, alkermès ; c’était à l’origine le même mot, avec son initiale al, l’article d’origine arabe que l’on retrouve dans alcool, algèbre ou alambic. Il désigne aujourd’hui une liqueur faite de fruits marinés dans l’alcool et teintée avec du kermès. Kermès a aussi d’autres parents un peu plus éloignés : le nom carmin, qui date du xiie siècle, et l’adjectif cramoisi, du xiiie siècle. Il y a deux hypothèses concurrentes pour expliquer le premier et toutes deux nous ramènent à qirmiz. Carmin pourrait être issu du latin médiéval carminium, un nom formé à l’aide de l’arabe qirmiz et du latin minium, « vermillon, minium », le mot latin se comprenant soit comme le vermillon obtenu à partir de cochenilles, soit comme une juxtaposition de deux termes synonymes visant à les renforcer mutuellement. Mais on évoque aussi pour expliquer l’origine de ce nom une dérivation de l’ancien français carme. Celui-ci a beaucoup voyagé, nous le tenons en effet de l’espagnol carmez, qui lui-même était issu de l’hispano-arabe qarmaz, une altération de l’arabe classique qirmiz. Si donc le nom carmin est peut-être passé par l’espagnol, l’adjectif cramoisi nous vient sûrement, lui, de l’italien cremisi, « rouge foncé », un emprunt de l’arabe qirmizi, « de la couleur de la cochenille », un dérivé, bien sûr, de qirmiz.
Le nom kermesse est plus ancien (fin du xive siècle). Dans son Dictionnaire, Littré signale que l’on dit également Karmesse (c’était d’ailleurs uniquement sous cette forme qu’on le trouvait dans l’édition de 1762 du Dictionnaire de l’Académie française) et que ce nom est un emprunt du flamand kerkmisse, nom composé de kerk, « église », et misse, « messe », signifiant proprement « messe de l’église ». Ce nom, kirk, qui appartient à la même famille que l’anglais church et que l’allemand Kirche, a une forme bien germanique mais c’est pourtant du côté du grec qu’il faut aller chercher son origine. Il s’agit en effet d’une altération du grec chrétien kurikos, « du Seigneur », que l’on peut lire dans l’expression kurikon dôma, « la maison du Seigneur », cet adjectif étant lui-même dérivé de kurios, « seigneur », un nom que l’on retrouve au vocatif dans le Kyrie eleison. On pourra noter, sans vouloir tomber dans la psychologie des nations, que pour désigner leur église, les peuples grec et nordique ont choisi de privilégier le nom du bâtiment, kurikon dôma, « la maison du Seigneur », alors que les peuples latins ont choisi un nom tiré du grec ekklêsia, « assemblée du peuple », puis « assemblée des fidèles » et, proprement, « assemblée convoquée », ce nom appartenant à la même famille que l’anglais to call, « appeler ». Mais, en dépit de cette pieuse étymologie, la kermesse, qui est une fête patronale, est aussi et avant tout une occasion de réjouissance populaire entraînant une certaine licence. Il n’est pour s’en convaincre que de se référer aux œuvres picturales auxquelles elle a donné son nom et dont Rubens fut un maître éclatant, ou de lire ce qu’écrit Huysmans à ce sujet dans L’Art moderne (1883) : « Dans sa Kermesse du Louvre, Rubens n’en faisait pas, de cette peinture-là [de la peinture à sentiments et à idées] et Brauwer et Ostade n’en faisaient pas davantage. Dans leurs toiles on pisse, on dégobille. »