Le discobole, la diabole et le symbole, la parabole
Le discobole, statue attribuée au sculpteur athénien Myron, est une des œuvres les plus célèbres de l’Antiquité. Ce mot est emprunté, par l’intermédiaire du latin, du grec diskobolos, nom fort simple à analyser puisqu’il est composé à partir de diskos, « disque », et bolos, « qui lance », lui-même dérivé du verbe ballein, « lancer ». Plût au ciel que tous les noms français en -bole fussent aussi simples à comprendre (on écartera la guibole et la faribole car n’étant pas d’origine grecque). Mais dans nombre de cas, les formes grecques à l’origine des noms français avaient déjà des sens figurés bien éloignés du sens d’origine des éléments les composant.
Considérons d’abord le plus rare d’entre eux, la diabole. Ce nom nous vient, par l’intermédiaire du latin diabole, « menace », du grec diabolê, « accusation, calomnie ». Il s’agit d’une figure de rhétorique définie ainsi par le grammairien latin Julius Rufinianus dans son De figuris sententiarum et elocutionis (« Les Figures de phrases et d’élocution ») : Diabole, interminatio, & quasi denunciatio eorum quae futura sunt « Diabole : menace et presque annonce de ce qui va arriver ». Notre grammairien cite alors des auteurs chez qui on rencontre cette figure, comme Cicéron : Erit, erit illud profecto tempus, et illucescet aliquando ille dies… (« Mais un temps peut venir, oui, un jour peut arriver où… », Pro Milone, chap. 26), et Térence : Videre videor jam illum diem, quo hinc egens, profugiet aliquo militatum. (« Il me semble déjà voir le temps où réduit à la mendicité, il s’en ira porter les armes quelque part », Les Adelphes, III, 3, 30)
Force est de constater que cette diabole n’est pas, et de loin, ce que le verbe grec diaballein nous a laissé de plus connu. Le préfixe dia- signifie « en séparant, en divisant ». Diaballein a donc pour sens « disperser », puis « séparer, désunir » et enfin « calomnier ». De celui-ci dérive le nom diabolos, qui désigne d’abord un homme médisant, un calomniateur et, à partir de la Bible des Septante, le diable. Le latin l’emprunta sous la forme diabolus, et, dès les débuts de l’époque chrétienne, nomma ainsi le démon. De ce nom a été tiré l’adjectif diabolicus rendu célèbre par cette phrase de saint Augustin devenue proverbiale, mais souvent incomplètement citée : Humanum est errare, diabolicum est per animositatem in errore manere (« Il est humain de se tromper, mais persister dans l’erreur par arrogance, c’est diabolique »).
Dans cette même famille de termes ayant en commun le suffixe -bole, on trouve, à côté de ce qui divise, ce qui réunit avec le symbole, tiré du verbe sumballein, antonyme de diaballein, puisqu’il est formé à l’aide du préfixe sum qui indique la réunion, comme dans sympathie, syndicat, synthèse, etc. De ce verbe, dérive le nom sumbolon, qui désigne un signe de reconnaissance. Ces signes étaient généralement des tessons, des osselets ou des tablettes. Quand un voyageur et son hôte se séparaient, ils brisaient ces objets pour sceller leur alliance et en gardaient chacun une moitié. Cela leur permettait de se reconnaître plus tard, eux ou leurs descendants, puisque cette alliance, fondée sur l’hospitalité, était héréditaire. On lit ainsi dans Médée d’Euripide, aux vers 613-614 : « Je suis prêt à t’aider généreusement et j’enverrai à mes hôtes des signes de reconnaissance (sumbola) pour qu’ils te fassent bon accueil. » On appelait d’ailleurs aussi sumbolon l’objet au moyen duquel les parents reconnaissaient les enfants qu’ils avaient jadis abandonnés.
Un prêtre du ive siècle, Rufin, a montré, dans son Explication du symbole des apôtres, comment ce nom est entré dans le monde chrétien : « Le nom grec symbolon peut être traduit par indicium (signe de reconnaissance), mais aussi par collatio, (assemblage, rassemblement), c’est-à-dire ce que plusieurs rassemblent en une seule chose ; c’est ce que firent les apôtres. » En effet, le symbole des apôtres, aussi appelé Credo, est le regroupement en un seul texte des articles de leur foi. Par la suite, le nom français symbole ajouta à ces sens celui de figure ou d’image qui sert à représenter une réalité, le plus souvent abstraite. On ne s’étonnera pas que ce dernier sens soit assez proche de celui d’« emblème », puisque ce nom est tiré, lui aussi, du verbe grec ballein.
Voyons pour conclure les deux noms parabole, l’un et l’autre composés à l’aide de para, « à côté », et de ballein. Mais celui qui a trait à la Bible nous est venu par l’intermédiaire du latin, tandis que celui qui ressortit à la géométrie et à la balistique (encore un nom en lien avec ballein) nous vient directement du grec.
Nous nous intéresserons ici à la parabole biblique. Son nom remonte au grec parabolê, « action de lancer à côté », puis « comparaison ». Mais parabole n’est pas la seule forme que le latin parabola nous a laissée : le mot a aussi évolué de manière populaire et a donné un doublet beaucoup plus en usage, « parole ». Enfin, de parabola a été dérivé un verbe parabolare, qui a vite supplanté loqui, plus difficile à conjuguer, et qui est à l’origine de notre verbe « parler ».