Le hêtre est, avec le chêne, un des plus beaux arbres de nos forêts et, comme lui, il a un nom qui ne vient pas du latin. Hêtre est en effet tiré de l’ancien bas francique *haistr, « arbuste », mot composé à l’aide de *haisi, « buisson, fourré », et d’un suffixe -tr servant à former des noms d’arbres. Mais en ancien français cet arbre ne s’appelait pas ainsi ; on l’appelait fou, une forme issue du latin fagus, de même sens. Longtemps d’ailleurs les forestiers ont distingué le fou, l’arbre adulte, du hêtre, qui désignait les jeunes troncs que l’on coupait régulièrement. Puis le second a pris le sens du premier et fou, en ce sens et sous cette forme, a disparu. Mais il est resté, dans notre langue et dans d’autres, de nombreuses traces de ce mot ou de son ancêtre. De fagus a en effet été tiré l’adjectif faginus, dont le féminin fagina est à l’origine des formes d’ancien français foïne (proprement mustela fagina, « la martre des hêtres »), l’ancêtre du nom fouine, et favine, c’est-à-dire « le fruit des hêtres », auquel nous devons le mot faine. Et c’est de fou qu’on a tiré le nom fouet, qui a d’abord désigné la branche de hêtre à laquelle on fixait une lanière, puis l’instrument complet, formé par le manche et la lanière. De plus, fagus et son équivalent gaulois *bago sont également à l’origine de nombreux toponymes comme La Fage, Le Faget, Faye, Le Faou, Le Faouët, Carquefou et bien d’autres, ou d’anthroponymes comme Desfoux, Fouet, Fayolle, Dufay, Fayard ou le célèbre zoologue de Quatrefages de Bréau (1810-1892). Ajoutons que l’étymologie populaire rattachait aussi à cette série Fouquet, car, en gallo, ce nom désigne un écureuil, un animal habitué à vivre dans cet arbre, que le célèbre intendant fit figurer sur ses armes avec cette devise Quo non ascendet ? (« Jusqu’où ne montera-t-il pas ? »).
Les formes latine et gauloise que l’on vient d’étudier remontent à l’indo-européen bhagos, qui est aussi à l’origine du grec phêgos. Mais comme le hêtre était rare en Grèce, on a donné ce nom à une variété de chêne (Quercus Aegilops). Et c’est ainsi que la chênaie de Dodone, célèbre parce que la volonté du roi des dieux s’y manifestait par le bruissement des feuilles de ces chênes ou par les sons rendus par des chaudrons de bronze que l’on suspendait à leurs branches, était placée sous la protection de Zeus Phêgônaios, « Zeus de la chênaie ».
Concluons avec notre hêtre en voyant ce qu’a donné cette même racine dans le monde germanique. On la trouvait sous la forme *boko, à l’origine de l’anglais beech et de l’allemand Buche, « buisson ». Mais, comme des écorces ou des tablettes de bois de hêtre servaient aussi de support à des textes écrits, en particulier des runes, par métonymie, cette même forme *boko a fini par signifier « livre » et c’est ainsi qu’elle est à l’origine de l’anglais book ou de l’allemand Buch. Ce dernier point ne doit pas nous surprendre puisque le latin liber, qui a d’abord désigné une mince pellicule de bois située entre l’écorce et le cœur de l’arbre, dont on se servait aussi pour écrire, a pris ensuite le sens de « livre ». Et n’oublions pas que les formes grecques bublos ou biblos, d’où sont tirés le nom Bible et tous les mots commençant par biblio-, ont désigné, avant le livre, une variété de papyrus, dont les feuilles servaient elles aussi à écrire. Et, d’ailleurs, l’on sait bien que ce même mot feuille nous fait passer, lui aussi, du végétal à l’écrit.