Établir des calendriers qui tiennent compte de la durée exacte des années occupa durant de nombreux siècles les astronomes de l’Antiquité. Très longtemps, l’estimation de cette durée, qui restait approximative, introduisait un décalage entre les saisons de la nature et les saisons officielles ; pour le corriger, on ajoutait régulièrement des jours intercalaires. Cette tâche était le privilège des pontifes, qui utilisaient ce pouvoir à l’avantage de tel ou tel, en avançant ou retardant à leur gré une élection, une échéance. Pour éviter ces abus, Auguste réforma le calendrier romain et assigna à l’année une durée de douze mois et six heures. Pour prendre en compte ces dernières, on ajoutait tous les quatre ans un jour supplémentaire et l’année qui comptait un jour de plus était appelée bissextile, mot tiré du latin bi(s)sextus, « deux fois sixième », puisqu’il y avait alors deux sixièmes jours avant les calendes de mars. Ce jour supplémentaire, parfois nommé jour bissextil, était surtout appelé bissexte. Dès l’époque romaine, il eut la réputation de porter malheur. Ammien Marcellin nous apprend ainsi dans ses Res gestae que l’empereur Valentinien Ier refusa toutes les invitations qui lui avaient été adressées dans une ville de province parce que le jour où il aurait dû les honorer était le bissexte. François Génin s’est beaucoup intéressé à ce nom dans son fameux Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle. Il y signale que la mauvaise influence du jour et de l’an bissextils était proverbiale au Moyen Âge et que le nom bissexte était devenu synonyme de « calamité ». Il cite à ce propos Eustache Deschamps (1340 – 1404) qui, dans Sur le trépas de Bertrand du Guesclin, écrit : Nuls ne sait le meschief ne le besistre grant / Qui est au roiaume aujourd’ui. De cette croyance est née l’expression populaire le bissexte est tombé sur telle affaire, pour dire qu’elle a mal tourné. Bissexte, qui avait évolué en bissêtre et bicêtre, fut aussi utilisé pour désigner quelque bêtise qui pouvait être lourde de conséquences. Molière en témoigne dans L’Étourdi, quand il fait dire à Mascarille : Et bien ! Ne voilà pas mon enragé de maître ! / Il nous va faire encor quelque nouveau bissêtre (V, 5). Mais il existe un autre nom Bicêtre dont l’histoire est tout autre. À la fin du xiiie siècle, Jean de Pontoise, évêque de Winchester, acheta une ancienne métairie appelée la Grange-aux-Gueux et y fit bâtir, en 1286, un château qui porta le nom de son évêché. Avec le temps celui-ci s’altéra, passant de Winchester à Vinchestre puis à Bichestre et enfin à Bicêtre. Or il se trouve que ce château fut incendié puis servit successivement d’hospice, de prison et enfin d’asile d’aliénés. La proximité des formes bissêtre et Bicêtre et la mauvaise réputation attachée à l’une comme à l’autre fit que l’on confondit parfois ces deux termes. C’est encore François Génin qui fait état de cette confusion dans son ouvrage : « Le peuple dit d’un enfant méchant et tapageur : C’est un bicêtre, Ah ! le petit bicêtre ! Trévoux veut que ce soit par allusion à la prison de Bicêtre, mais ne serait-ce pas plutôt un vestige de la superstition du bissêtre ? Ah le maudit enfant ! le petit malheureux ! né le jour du bissètre, qui est tombé sur le bissètre ».
Notons enfin qu’au xixe siècle on accola au nom de Bicêtre celui de Kremlin, parce que s’y trouvait une auberge appelée, en souvenir de la campagne de Russie, Au Sergent du Kremlin, nom qui n’est pas sans rappeler le fameux Au sergent de Waterloo, qui était celui de l’auberge des Thénardier.