Aubaine appartient aujourd’hui à la langue courante et désigne une heureuse fortune, un avantage inespéré. Mais ce nom était à l’origine un terme juridique. Il s’est en effet d’abord rencontré dans l’expression droit d’aubaine, droit qui faisait du roi l’héritier des étrangers venant à mourir sur son territoire. Ces étrangers s’appelaient des aubains. L’origine de ce mot n’est pas assurée et a donné lieu à de nombreuses hypothèses. Dans son Thresor de la langue françoyse, Jean Nicot le rattache au verbe Auber : « Mot qui signifie bouger d’un lieu à un autre. Et parce que de tels adventifs [étrangers] ne peuvent jouyr des droits et advantages des naturels du pays où ils fichent leur bourdon sans estre naturalisez, et que leurs biens tombent au fisc apres leur decez, pour cette cause on dit Aubain. »
On notera avec plaisir qu’à une époque, peut-être moins pessimiste que la nôtre, ficher le bourdon n’était pas l’équivalent de notre expression familière « donner le cafard », mais signifiait « s’installer en quelque pays ». L’expression ficher le bourdon est empruntée au monde des pèlerinages. C’est encore Nicot qui nous en donne l’origine : « Ficher bourdon, pour arrester sa demeure parce que les pelerins s’arrestans en quelque lieu doivent ficher en terre leurs bourdons et non pas le mettre de couche ; pour donner à entendre que la devotion qui les a fait entrer en ces terres saintes est toujours en eux en estat et en vigueur, et que pour icelle maintenir ils sont prests à soustenir tout effort à ce contraire. Ainsi par métaphore on dit, un homme avoir fiché bourdon en quelque ville, quand il y a esleu et estably sa perpetuelle demeure. »
Du Cange, dans son Dictionnaire du latin médiéval, rattache Aubain à Albanie, non pas l’État d’Europe centrale surnommé « le pays des aigles », mais une région du Nord de l’Écosse encore appelée Braid-Albain, qui vit, dès le Moyen Âge, un grand nombre de ses enfants s’exiler pour chercher dans quelque autre terre une vie meilleure.
Aubain, qui, nous apprend la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, n’était « en usage que dans les Ordonnances et dans le Palais », a naturellement intéressé les juristes. Jacques Cujas, au xvie siècle, le faisait venir du latin advena, « étranger », alors que son disciple Antoine Loysel le pensait issu de alibi natus, « né ailleurs ». On s’accorde aujourd’hui à penser que ce terme est issu du francique alibani, « qui dépend d’un autre ban, d’une autre juridiction », lui-même venant de ban, « territoire soumis à la juridiction d’un souverain », nom également à l’origine de notre banlieue, cette dernière désignant le territoire s’étendant à une lieue autour de la ville et sur lequel le seigneur exerçait son ban, sa juridiction.
Aubain n’est pas le seul nom désignant un étranger. C’est aussi le cas de forain, mot issu du latin foranus, « étranger », et c’est d’ailleurs le sens qu’il a lorsqu’il apparaît en français au xiie siècle. Mais, à partir du xive siècle, il va être concurrencé par étranger, et comme les marchands forains allaient de foire en foire, on a cru, à tort, que forain – alors que les mots anglais qui en sont issus, foreign et foreigner, ont bien conservé ce sens d’« étranger » – était dérivé de foire. L’adjectif foranus est lui-même dérivé de foris, « dehors », forme que l’on rattache à fores, mais aussi au grec thura, à l’anglais door et à l’allemand Tür, tous mots signifiant « porte ». C’est de foris que vont être tirées, plus ou moins directement, nos prépositions fors et hors. De cette dernière est dérivé, sur le modèle de forain, le nom horsain, qui désigne, en pays cauchois, celui qui n’est pas né dans la région, voire dans le village, et qui, comme l’a montré le père Alexandre dans son livre justement intitulé Le Horsain, semble condamné à devoir conserver à jamais son statut d’étranger.