De la deuxième édition de son Dictionnaire, parue en 1718, à la septième, parue en 1878, l’Académie française a eu comme entrée le verbe lantiponner, qu’elle glosait ainsi : « Tenir des discours frivoles, inutiles et importuns » et qu’elle illustrait de cet exemple : Il ne fait que lantiponner, au lieu de venir au fait. Littré, en 1873, écrivait peu ou prou la même chose dans son Dictionnaire de la langue française et éclairait le sens de ce verbe par cette citation du Médecin malgré lui, de Molière : « Hé ! tétigué ! ne lantiponnez pas davantage, et confessez à la franquette que vous êtes médecin. »
Ce verbe, nonobstant le fait qu’on l’écrive avec un a, est composé à l’aide de l’adjectif lent et d’une forme populaire poner, issue du latin ponere, qui signifie « poser », mais qui est aussi à l’origine de « pondre ». On ne s’étonnera donc pas que Littré ajoute que ce « mot de paysans » signifie « quelque chose comme pondre lentement ». Dans lantiponner, poner ne s’utilise pas avec son sens propre de « faire un œuf », mais au figuré pour signifier « prendre une décision, adopter tel ou tel parti », puis « produire, engendrer une, œuvre intellectuelle ou artistique », des sens qu’a, depuis le xiiie siècle, son équivalent français courant, pondre. Dans cet emploi, ce dernier a une légère valeur péjorative, qui amène à penser que ce qui est pondu n’est ni très original ni de très bonne qualité. Nous avons un témoignage de ce travail de tâcheron dans une des Lettres à l’Étrangère de Balzac : « C’est encore une cinquantaine de colonnes qu’il faut avoir pondues pour la fin du mois. » La piètre valeur de ces productions, Maurice Martin du Gard l’évoque quand, dans ses Souvenirs autobiographiques, il écrit au sujet de certains de ses confrères : « Ils se laissent aveugler par un apparent devoir immédiat et, pour pondre des articles utilitaires dont il ne restera rien, ils négligent leur vrai devoir, qui, semble-t-il, serait de poursuivre leur œuvre d’écrivains. » Dans Les Faux-monnayeurs, Gide fait dire à l’un de ses personnages, qui passe le baccalauréat : « Je ne sais pas si ce que j’ai pondu sera du goût des examinateurs. » Le dérivé, assez rare, pondeur est également péjoratif, comme en témoigne ce texte tiré des Œuvres posthumes de Verlaine, dans lequel l’auteur peint ainsi Alphonse Daudet : « ce crotteur de riens, le pondeur de petits articles faussement précieux sur de vraies banalités ». Pour donner la vie, les oiseaux pondent, les humains accouchent. Il était donc normal que le verbe accoucher connaisse pareille extension de sens. Notre Dictionnaire en rend compte, qui signale que ce verbe signifie aussi, figurément et familièrement, « créer non sans peine un ouvrage de l’esprit » qu’il illustre par cet exemple : « Accoucher d’un médiocre drame historique ». On accouche aussi d’un axiome dans le Journal des Goncourt, d’un livre dans Les Caves du Vatican, de Gide ou d’un modeste petit traité dans Pitié pour les femmes, de Montherlant. Accouchement aussi dans Les Femmes savantes quand Trissotin présente à son public énamouré : « Hélas, c’est un enfant tout nouveau-né, Madame. / Son sort assurément a lieu de vous toucher, / Et c’est dans votre cour que j’en viens d’accoucher. »
On constatera avec amusement que les lois de la biologie n’empêchent pas que si l’on pond une œuvre ou si on en accouche, on en revendique la paternité et non la maternité.
Les productions de l’esprit et du corps se retrouvent encore liées dans l’expression familière, tirée de la langue des journalistes, Pisser de la copie, c’est-à-dire « fournir dans l’urgence beaucoup de texte, de nombreux articles », et qui, par extension, s’emploie aussi en parlant d’écrivains. De là a été tiré le nom pisse-copie pour désigner celui qui produit articles ou livres en grande quantité, sans souci de la qualité.