Dans la première partie de L’Éducation sentimentale, Flaubert parle de « la montre des cordonniers » ; il ne désigne pas, ce faisant, un appareil portatif indiquant l’heure dont disposeraient ces artisans, mais leurs étals. Dans la même page, la « montre des cordonniers » voisine d’ailleurs avec « les boutiques » et « l’éventaire des marchandes ».
On retrouve un sens assez proche de ce déverbal de montrer dans des expressions comme faire montre de, « faire preuve de » et, péjorativement, « faire étalage de » (encore un terme pris à la langue du commerce), ou être pour la montre et rien que de la montre employées pour dénoncer qui parade beaucoup et agit peu. Au sens précis d’« étal », en revanche, montre est aujourd’hui désuet. Il n’en va pas de même pour son équivalent italien, mostra, qui a encore, à côté des sens d’« exposition » et de « parade », celui de « vitrine ». Autre intérêt du substantif italien, la présence du « s », disparu en français, qui nous rappelle que montre et monstre ont une même étymologie.
Monstre est en effet emprunté du latin monstrum que le grammairien latin Pompeius Festus, dans son De verborum significatione (« Le Sens des mots »), au iiie siècle de notre ère, expliquait ainsi : a monendo dictum est […] quod monstret futurum et moneat voluntatem deorum (« il tire son nom de monere [avertir] parce qu’il annonce ce qui va se passer et avertit de la volonté des dieux »). Dans la langue religieuse, ce monstrum par lequel se manifeste la volonté divine apparaît le plus souvent sous la forme d’un être surnaturel : monstra dicuntur naturae modum egredentia, ut serpens cum pedibus, avis cum quattuor alis, homo duobus capitibus (« on appelle monstres des êtres qui outrepassent les lois de la nature, comme un serpent avec des pattes, un oiseau avec quatre ailes, un homme à deux têtes »).
Le verbe monstrare, dérivé de monstrum, a d’abord eu, dans la langue augurale, la même signification que monere, celle d’« avertir », mais, contrairement à ce dernier, il l’a rapidement perdue pour ne garder que celle d’« indiquer, montrer ».
Ce dernier sens nous invite à revenir à nos montres… Le sens ancien de montre, dont nous avons précédemment parlé, a disparu au profit de celui d’appareil portatif indiquant l’heure. Le nom montre a d’ailleurs suivi un chemin assez proche de celui qu’emprunta jadis son cousin le pendule ; ce dernier est en effet la réduction de l’expression « horloge à pendule », le pendule étant ce qui donne le mouvement à cet appareil. Par attraction, pendule, en ce sens, a changé de genre pour prendre celui d’horloge. Montre, lui, s’est d’abord rencontré dans l’expression montre d’une horloge, pour en désigner le cadran, qui « montrait l’heure », avant de se rencontrer seul pour désigner ce que la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française définissait comme une « petite horloge qui se porte ordinairement dans une poche destinée à cet usage ».
Concluons en rappelant à quel point notre langue peut être subtile, qui distingue, d’un côté, le porte-montre, coussinet plat et enjolivé contre lequel on suspend une montre, ou petit meuble, en forme de pendule, où l’on peut placer une montre de manière que le cadran seul paraisse, et, d’un autre côté, le porte-montres, petite armoire vitrée où les horlogers exposent des montres, une montre pour les montres en quelque sorte…