La chimie nous apprend qu’il existe des entités moléculaires composées d’une tête, qui aime l’eau, et d’un filament, qui ne l’aime pas. Celles-ci se regroupent en petits assemblages sphériques, dans lesquels les parties hydrophobes sont au centre, à l’abri d’une couche protectrice formée par les parties hydrophiles. Chacun de ces petits assemblages est appelé micelle. C’est un dérivé savant du latin mica, « parcelle, miette, grain ». Ce nom, mica, a eu une descendance plus importante que ne pouvait le laisser supposer la petitesse de ce qu’il désignait. Il avait en effet déjà été emprunté, dans la langue de la géologie, pour désigner, à côté du quartz et du feldspath, un des composants principaux du granite, le mica, ainsi nommé parce qu’il se présente sous forme de petits éléments. On rattache généralement ce nom au latin minor, « moindre, plus petit », et au grec mikros, « petit ». Si on le trouve avec le sens de « miette », il avait aussi celui de « grain » dans l’expression mica salis, qui désigne un grain de sel, aux sens propre et figuré. Le nom français mica, d’origine savante, a un doublet populaire, mie. Avant de désigner la partie tendre du pain qu’entoure la croûte, mie a eu le sens de « miette » puis de « toute petite chose sans valeur », et a servi, parallèlement à goutte, à construire des négations ; d’abord dans l’expression Il ne mange mie, « il ne mange même pas une miette », c’est-à-dire « il ne mange pas ». Ce mot entrait aussi dans des comparatifs dépréciatifs. On lit ainsi dans les Romances et pastourelles françaises des xiie et xiiie siècles : Je ne pris mon mari mie / Une orde pome porrie (« Je n’accorde pas plus de prix à mon mari qu’à une sale pomme pourrie »). Pour des raisons d’assonance, le e final est parfois omis. C’est ce que l’on a dans Raoul de Cambrai, une chanson de geste du xiie siècle : Se vos l’aves, ne le me celes mi (« Si vous l’avez, ne me le cachez pas »). Cette double fonction de mie, nom commun et adverbe de négation, permet aussi des jeux de mots, comme dans Les Miracles de la Sainte-Vierge, de Gauthier de Coincy : L’escriture [les juifs] n’entendent mie / La croste en ont et nous la mie. Mie peut encore avoir un autre sens. La forme m’amie, « mon amie », a été mal interprétée et vite écrite ma mie. Il arriva même que le syntagme ma mie fût compris comme un seul mot et qu’on lût dans des textes médiévaux sa mamie pour désigner une femme aimée. En effet, le latin amica avait évolué en amie, comme mica avait évolué en mie. Notons qu’au Moyen Âge, les formes mie et amie désignaient plus souvent une amante, une maîtresse ou une concubine qu’une amie. On remarque aussi qu’en français actuel, le passage de l’amie à l’amante se fait par l’adjonction de l’adjectif « petite ». L’ancien français usait d’un procédé semblable, mais par l’adjonction du diminutif -ette, et, de même que mie donne miette, amie avait donné la forme, aujourd’hui hors d’usage, mais très fréquente en ancien français amiette, « amante ». Il est une autre forme que nous devons à mica. En latin populaire ce nom a été modifié, par redoublement expressif du c, en micca, forme à laquelle nous devons notre « miche ». À l’origine, ce dernier désigne, comme mie ou miette et conformément à l’étymologie, un tout petit morceau de pain. Il n’entrait pas dans des expressions négatives, comme mie, dans « il ne mange mie », mais dans des tours dépréciatifs, aujourd’hui disparus, mais qu’on lisait, par exemple, chez Eustache Deschamps : leurs corps ne vault deux miches, c’est-à-dire « ne vaut rien ». Après que miche avait désigné un pain, il est entré de manière figurée dans des expressions comme miches du couvent militaire, pour désigner balles et boulets, ou miches de saint Étienne (celui-ci, le premier martyr de la chrétienté, ayant été lapidé), pour désigner des pierres. Par analogie de forme, et dans une langue populaire, miches, employé au pluriel, désigne aussi les fesses, en particulier dans l’expression serrer les miches. Notons pour conclure qu’il n’est guère étonnant, au vu de l’étymologie, que le mica soit un composant du granite, puisque ce dernier tire son nom de l’italien granito, substantivation d’un adjectif signifiant proprement « granuleux », lui-même dérivé de grano, un nom issu du latin granum, « grain ».