Dans Les Vaches, Marcel Aymé nous conte l’histoire d’un cochon qui s’efforce de retrouver un troupeau mystérieusement disparu et probablement volé. Il échoue parce que son raisonnement, fondé sur le postulat selon lequel « les voleurs sont les gens les plus mal habillés », le conduit à soupçonner, à tort, des romanichels. C’est le canard qui confond les véritables coupables, bien qu’ayant un postulat de départ assez semblable à celui du cochon : il leur trouvait en effet « des têtes de voleurs ». Son exploit lui permet de clore solennellement l’enquête sur cette sentence sibylline : « Il faut toujours juger les gens sur la mine. Le tout est de ne pas se tromper. »
Pourtant, de saint Jean l’évangéliste à Jean de La Fontaine, c’est bien le contraire qui nous est enseigné. Nolite judicare secundum faciem (« Ne jugez pas sur l’apparence »), prône le premier (7-24), tandis que le second, dans Le Cochet, le Chat et le Souriceau, nous livre cette morale : « Garde-toi, tant que tu vivras, de juger les gens sur la mine. »
Faut-il dès lors condamner nos animaux détectives ? Peut-être pas si l’on en croit les avis, moins tranchés, de quelques dictionnaires. Les éditions précédentes de celui de l’Académie française nous disent qu’« on se trompe souvent à la mine » mais on trouve quelques lignes plus loin « il a la mine, toute la mine d’un pendard, d’un vaurien » ou « il porte bien la mine d’un fripon » (dans la 5e édition) ou encore « on connaît, on voit à sa mine que c’est un méchant sujet » (dans la 6e édition). Plus près de nous, au début du xxe siècle, l’héroïne de La Maternelle, de Léon Frapié, nous apprend qu’en son temps l’école n’allait pas contre ces préceptes : « Ce matin la normalienne a commenté une petite fable, La Renoncule et l’Œillet, d’où cette objurgation : “Il faut rechercher la bonne société, rejeter les promiscuités disgracieuses, juger les gens sur l’extérieur.” » Et juger autrui sur « l’extérieur », c’est aussi le juger sur son apparence vestimentaire, que l’on sait pouvoir être tout aussi trompeuse que la mine. Un autre évangéliste, saint Luc, nous invite ainsi à nous méfier des faux prophètes qui veniunt ad vos in vestimentis ovium, intrisecus sunt autem lupi rapaces (« qui viennent à vous avec des vêtements de brebis, mais sont au-dedans des loups ravisseurs ») (7,15). Rappelons aussi le proverbe qui nous apprend que « l’habit ne fait pas le moine », proverbe repris en latin par Shakespeare dans La Nuit des rois (acte I, scène v) : Lady, cucullus non facit monachum (« Madame, l’habit [ou, mieux, « la coule »] ne fait pas le moine »).
À l’habit, saint Anselme de Cantorbéry ajoute un autre élément dans son Carmen de contemptu mundi (« Poème sur le mépris du monde ») : Non tonsura facit monachum, non horrida vestis (« Ce n’est ni la tonsure ni le mauvais vêtement qui fait le moine »). Cette leçon ne s’applique pas qu’aux moines puisqu’un célèbre proverbe latin nous enseigne que barba non facit philosophum (« La barbe ne fait pas le philosophe ») et que le grammairien Aulu-Gelle écrit, lui, video barbam et pallium, philosophum nondum video (« Je vois la barbe et le manteau, mais je ne vois pas encore le philosophe »). Mais, comme cela arrive souvent avec les proverbes, l’enseignement qu’ils nous donnent est contredit, dans des termes aussi forts, par d’autres proverbes. Ceux que l’on vient de voir n’échappent pas à la règle : une sentence grecque nous apprend que heimat’anêr, « le vêtement fait l’homme », idée reprise par un adage latin de même sens, vestis virum reddit, mais aussi par Rabelais, en latin encore, qui écrit dans Le Tiers Livre : Qualis vestis erit, talia corda gerit (« Tel est le vêtement, tel est le cœur de celui qui le porte »). Le cochon n’avait peut-être pas entièrement tort…