Dans les Pensées, Pascal présente l’homme comme un « imbécile ver de terre ». Si nous cernons désormais mieux l’homme, nous ne connaissons guère plus le ver. Et force est d’avouer que la première édition de notre Dictionnaire ne nous est pas d’un très grand secours. Cet animal y est présenté comme un « Petit insecte rempant, qui n’a ny vertebres, ny os ». Cela est confirmé à l’article Insecte, où on lit : « Se dit de plusieurs especes de petits animaux qu’on croit moins parfaits que les autres. Les mousches, les fourmis, les puces, les vers, &c. sont des insectes. » Un siècle plus tard, le Dictionnaire de Féraud ne dit rien d’autre : « Les vers, les fourmis, les mouches, les hannetons sont des Insectes. » Au xixe siècle, Larousse donne les causes de cette confusion :
« Le mot ver n’a pas de signification précise dans le langage de la science moderne ; on l’appliquait autrefois, et dans la simple conversation on l’applique encore, à des espèces diverses qui n’ont, ou semblent n’avoir ni pattes, ni ailes, ni écailles, qui vivent dans la terre, dans les substances corrompues, dans les intestins de beaucoup d’animaux, et qui souvent ne sont que des larves d’insectes. »
Si nous passons de ver à son dérivé vermine, nous pourrons ajouter à cette liste des petits rongeurs. Pour Nicot, en effet, ce nom désigne « Toute sorte de petites bestes qui s’engendrent de pourriture, comme poux, pulces, souris et rats ». La comparaison des langues rend compte de ce fait puisque nos amis allemands appellent Bücherwurm (« ver des livres ») notre rat de bibliothèque. Au xvie siècle, Ambroise Paré (xxiv, 3) ajoutait à la vermine « Crapaux et viperes ».
Le ver nous intéresse aussi parce qu’on l’a longtemps considéré comme une preuve de la génération spontanée. Diderot écrit ainsi dans Le Rêve de d’Alembert : « L’éléphant, cette masse énorme, organisée, le produit subit de la fermentation ! Pourquoi non ? Le rapport de ce grand quadrupède à sa matrice première est moindre que celui du vermisseau à la molécule de farine qui l’a produit... Mais le vermisseau n’est qu’un vermisseau... C’est-à-dire que la petitesse qui vous dérobe son organisation lui ôte son merveilleux. »
Cette croyance dans la génération spontanée des vers était alors fort répandue. Les dictionnaires en témoignent en précisant d’où s’engendrent tous ces animalcules. Ainsi, à l’article Ver de son Thresor de la langue francoyse, Nicot présente : « Un ver qui s’engendre au bois… ; un ver qui naist et s’engendre de la terre… ; des vers qui naissent dedans le ventre… ; un petit ver qui naist seulement où le lion est engendré et est de telle force, que si le lion le mange, il meurt incontinent [Notons que ce dernier ver, connu d’Aristote et d’Élien, nous est présenté par Pline, dans son Histoire naturelle, comme “un petit animal appelé léontophonos (proprement ‘tueur de lion’) et qui ne se trouve que là où se trouve le lion : cette bête formidable […] expire sur le champ s’il goûte sa chair ; aussi brûle-t-on le corps du léontophonos et on saupoudre de cette cendre comme d’une farine des morceaux de chair qui sont un appât pour le lion et qui lui donnent la mort tant cet animal est funeste. Ainsi le lion le hait non sans raison, l’écrase quand il le voit et le tue sans le mordre. L’autre pour se défendre lâche son urine, elle aussi mortelle pour le lion”]. »
Le ver, on l’a vu avec Pascal, était considéré comme un symbole de petitesse. Il l’était depuis fort longtemps puisque, dans une lettre, saint Augustin écrit, reprenant presque mot à mot le verset 7 du psaume 21 de la Bible : « Ego sum vermiculus et non homo » (« Moi, je suis un petit ver et non un homme »). On notera avec amusement que si ce diminutif vermiculus est à l’origine de notre vermisseau, il l’est aussi de vermeil ou encore de vermicelle.
C’est ce même ver qui reviendra sous la plume de Victor Hugo qui lui redonnera toute sa noblesse en l’employant dans une déclaration d’amour restée célèbre :
« Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ;
Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;
Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. » (Ruy Blas, II, ii.)