Les noms bonheur et malheur sont composés à l’aide d’heur, lui-même issu du latin augurium, « présage favorable ». À l’origine, et conformément à l’étymologie, heur s’écrivait sans h et se rencontrait sous les formes öur, eür ou eur. Ce nom signifiait « sort, fatalité, destin ». À partir du xive siècle, la graphie heur est apparue, sans doute par analogie avec le mot heure. Cette dernière forme est le fruit d’une réfection savante : le latin hora a en effet évolué en or(e), forme que l’on retrouve dans les adverbes encore et lors et la conjonction de coordination or. Cette modification graphique était liée à l’homonymie des deux termes, mais aussi au fait que l’on voyait de l’un à l’autre un rapport de cause à effet, l’heure de naissance étant censée influer sur la destinée et donc sur le bonheur ou le malheur des individus. Cette croyance, ajoutée au fait qu’au Moyen Âge l’orthographe était mal fixée, explique que l’on trouve, surtout dans les composés, une grande variété de formes avec ou sans h.
En effet si on peut lire dans un sermon de saint Bernard « Bienaureiz sera cil ki demorrat en sapience » (« Bienheureux sera celui qui restera dans la sagesse »), Pierre de Larivey écrit, quant à lui, dans Les Esprits, une pièce dont s’inspirera Molière pour son Avare, « Les pauvres femmes sont cause de tous maux et ne bienheurent jamais une maison que par leur mort ». De même, Guernes de Pont-Sainte-Maxence, auteur plus connu sous le nom de Garnier, écrit au XIIe siècle, dans sa Vie de saint Thomas Becket, « De tuz les cheitis, sui li plus malourez » (« De tous les infortunés, je suis le plus malheureux »), alors que son homonyme, Robert Garnier, écrira, quatre siècles plus tard, dans Antigone ou la Piété, « Et ne va malheurer de mon malheur ta vie ».
Ce rapprochement entre la bonne ou la mauvaise fortune et le moment de la naissance va être souligné par des formes comme malheure, contraction de male heure, que rien ne distingue phonétiquement de malheur, et que l’on rencontre dans des expressions comme De malheure suis né.
Mais c’est par la croyance aux horoscopes, nom qui est emprunté, par l’intermédiaire du latin horoscopus, « constellation sous laquelle on est né », du grec hôroskopos, « qui examine l’heure de naissance », que l’on va lier par des rapports de dépendance l’heur, les heures et les astres. Ces rapports de dépendance, notre langue les dit encore avec des expressions comme
être né sous une bonne étoile et être né sous une mauvaise étoile. Mais bien vite, on va passer de la chance ou de la malchance qu’ont eue tel ou tel en naissant à leur caractère, et l’on dira d’eux qu’ils sont biens lunés ou mal lunés. Enfin, ceux qui sont nés sous une mauvaise étoile vont être peu à peu perçus comme responsables de ce qui leur arrive et l’on confondra assez vite l’infortuné et le méchant (on constate le même glissement de sens avec la forme misérable). Ainsi le terme malotru, dans lequel on reconnaît le radical astre, a d’abord désigné une personne née sous une mauvaise étoile, sens aujourd’hui disparu, avant de désigner quelqu’un de mal élevé et de grossier. Son antonyme benastru, qui désignait, dans la langue du Moyen Âge, une personne née sous une bonne étoile, a disparu du français courant. Il ne se conserve plus guère aujourd’hui que dans certains parlers régionaux de l’Ouest de la France, et en particulier en Mayenne.