Le greffier travaille dans un tribunal, il y assiste les magistrats à l’audience et dresse les actes du greffe ; et c’est à ce nom greffe qu’il doit le sien. Ce dernier est issu, par l’intermédiaire du latin graphium, du grec grapheion, qui désigne un stylet, et qui vient lui-même de graphein, « écrire ». Mais en argot, greffier désigne aussi un chat. Cette extension de sens a été favorisée par le fait que greffe est le paronyme d’un des attributs les plus caractéristiques de cet animal, la griffe, nom qui nous vient du francique grifan, « prendre, saisir ». Ce verbe est aussi à l’origine de l’ancien verbe français gripper, qui signifiait « saisir avec ses griffes », et qui est ainsi défini et illustré dans la première édition de notre Dictionnaire : « Attraper, ravir subtilement. Il se dit proprement du chat & de quelques autres animaux. Ce chat a grippé ce morceau de viande. Il a grippé la souris au sortir de son trou ». Gripper a servi à former le nom d’un des chats les plus fameux de la littérature, Grippeminaud. On le rencontre aux chapitres XIII et XIV du Cinquième Livre de Rabelais, qui nous présente des juges prévaricateurs (« les chats-fourrés ») se réjouissant de leurs profits indus : « Au son de sa bource commencerent tous les Chats-fourrez jouer des griphes. Et tous s’escrierent à haulte voix disans : Ce sont les espices: le proces fut bien bon, bien friant, & bien espicé [rappelons que, sous l’Ancien Régime, la coutume voulait que les plaideurs rétribuassent leurs juges avec des épices, denrée fort précieuse à l’époque]. Adonques interrogua les voyagiers ou & à qui ils portoient ces frians morceaux. Ils respondirent que c’estoit à Grippe-minaud, aux Chats-fourrez, & Chattes fourrees. » Cette évocation des chats-fourrés, auxquels Rabelais adjoint un étonnant féminin chattes fourrées, nous ramène au monde judiciaire. Bien avant que greffier ne désigne un chat, taxonomie féline et langue de la justice s’étaient déjà croisées, puisque chat-fourré était le surnom donné aux magistrats, d’abord parce qu’ils portaient une douillette étole d’hermine, mais aussi et surtout parce qu’on leur prêtait, comme aux chats, un amour du confort et une rapacité féroce dissimulée sous des manières patelines et par la cautèle et la ruse (on se rappelle que, dans Le Roman de Renart, Tibert, le chat, réussit à prendre le goupil à ses propres pièges). La Fontaine s’en fait le témoin quand il brosse, dans Le Chat, la Belette et le Petit Lapin, un édifiant portrait de l’un d’entre eux, Raminagrobis (qu’il appelle également Grippeminaud) :
« C’était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un Chat faisant la chattemite,
Un saint homme de Chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas. […]
Les voilà tous deux arrivés
Devant Sa Majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. […]
Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre. »
Dans sa panoplie de magistrat, notre greffier a le savoir du juriste, mais il a en sus, on le voit, une éloquence et onction tout ecclésiastiques. Faut-il dès lors s’étonner qu’une race de ces félins et un ordre régulier aient reçu le même nom, celui de chartreux ? La sagesse populaire, qui aime toujours à justifier les appellations, a d’ailleurs parfois considéré que si l’on avait ainsi nommé cette race, c’est parce que, à l’imitation des moines de cet ordre qui évitent toute parole non nécessaire, ces chats ont la particularité de ne miauler que très peu. Signalons pour conclure que, par un très beau système de vases communicants, comme on avait donné le nom de greffiers aux chats, et que ce dernier nom était en quelque sorte sans emploi, les malfrats le prirent pour désigner les greffiers et les concierges des prisons, désormais appelés chats.