Contrairement à ce qu’on pourrait croire en voyant les couples biquet / biquette ou blondinet / blondinette, la gourmette n’est pas plus le féminin du gourmet que la navette n’est celui du navet. Le nom gourmet – et cela devrait mettre fin aux commentaires perfides parfois distillés au sujet de la cuisine d’outre-Manche par ceux qui pensent que gastronomie anglaise est, au même titre qu’obscure clarté ou humide étincelle, un oxymore – nous vient de l’ancien anglais grom, « jeune garçon ». À ce nom, que l’on rattache à to grow, « pousser, croître, se développer », nous devons aussi, mais par un emprunt plus tardif, groom, attesté d’abord chez Balzac en pleine période d’anglomanie triomphante. Notre gourmet s’est d’abord rencontré sous une grande variété de formes : gourme, grommes, gromet, groumet, gerromet. Dans un premier temps il désigna un jeune serviteur ou un jeune commis ; il y avait ainsi, dans la maison des ducs de Bretagne, des officiers subalternes que l’on appelait les gourmes de chambre, mais peu à peu le sens se spécialisa et ce nom désigna un jeune garçon travaillant chez un marchand de vin. On rencontre d’ailleurs, à la fin du Moyen Âge, une forme groumete, une courtière en vin. Un peu plus tard, apparut la forme groumet, un valet chargé de s’occuper des vins et qui était, en quelque sorte, une forme moins noble d’échanson ; puis, par un déplacement du r, sans doute dû à l’influence de gourmand, notre groumet se transforma en gourmet. C’était alors celui qui sait boire les vins en connaisseur, et bientôt aussi, l’un ne semblant pas aller sans l’autre, celui qui sait apprécier la bonne chère en amateur averti.
Quant à notre gourmette, si elle est rangée aujourd’hui dans le domaine « Orfèvrerie » du Dictionnaire de l’Académie française, elle est de moins haute naissance. En effet, avant d’être une chaîne de montre ou de bracelet à mailles plates, elle a été une chaînette métallique tenant à chaque côté du mors de bride et passant sous la mâchoire inférieure du cheval, que l’on appelait aussi mors à gourme. C’est de là que vient l’expression jeter sa gourme, « se livrer aux plaisirs et à certains excès propres à la jeunesse ». On dit d’ailleurs aussi en ce sens : casser sa gourmette. Cette gourme est une maladie des chevaux que Bescherelle définit ainsi : « C’est un écoulement d’une humeur visqueuse, gluante, roussâtre ou blanchâtre, qui flue des naseaux. » Ce nom, gourme, est issu du bas francique wurm ou worm, « pus », des formes à l’origine des noms allemand et anglais signifiant « ver ». Ces termes appartiennent à une famille indo-européenne dans laquelle on trouve aussi le latin vermis, qui par l’intermédiaire de l’ancien français verm, a donné ver. De ce dernier on a tiré la forme vermine, qui a d’abord désigné toutes sortes de petites bêtes nuisibles, souris, serpents, insectes, etc. Il est vrai que les langues ont souvent réuni sous un même vocable les différents animaux qui grouillaient, et l’on passe d’une bestiole à une autre en changeant de langue. Ainsi traduisons-nous Der Bücherwurm (proprement « le ver des livres »), titre d’un célèbre tableau de Carl Spitzweg, par Le Rat de bibliothèque. Notre nom vermine, qui a ensuite désigné des parasites des hommes et des animaux, est tout proche du latin vermina, qui signifiait « spasme, convulsion », et que Paul Festus glosait ainsi : « Dicuntur dolores corporis cum quodam minuto motu, quasi a vermibus scindatur » (« On appelle ainsi des douleurs du corps accompagnées de petits mouvements, qui donnent l’impression que le corps est déchiré par les vers »). À cette vaste famille linguistique appartient aussi le nom vermeil qui, comme la gourmette vue plus haut, ressortit à la langue de l’orfèvrerie, puisqu’il s’agit d’un alliage d’or et d’argent d’une couleur tirant sur le rouge ; mais comme celle de gourmette, son origine est roturière. Vermeil est en effet issu du latin vermiculus, proprement « vermisseau », un nom qui désignait aussi la cochenille, ce petit insecte à partir duquel on fait une teinture écarlate. Mais vermiculus avait aussi d’autres sens : le latin chrétien l’a fréquemment employé pour souligner la misérable petitesse de l’homme par rapport à la magnificence de son créateur. On lit ainsi dans les prières des franciscains : « Quid es tu, dulcissime Deus meus, et quid sum ego, vermiculus ? » (« Qu’es-tu, toi mon Dieu très doux, et que suis-je, moi, petit vermisseau ? »), ou encore dans une lettre de saint Jérôme : « Quae ratio igitur est adversus hunc vermiculum gravioris tentationis? » (« Quelle est donc la cause d’une tentation si active contre un insecte de terre ? »). On notera que dans cette traduction approximative de Félix de Gonnet, au début du xixe siècle, ce qui intéresse dans vermiculus, ce n’est pas la précision zoologique, mais l’insignifiance de l’animal en question, rendue ici par « insecte de terre », et non par « petit ver ». Notons enfin que ce même vermiculus est un parent de notre vermicelle. Nous pouvons donc grâce à lui conclure en retournant à la cuisine où nous avions rencontré notre gourmet. Ces longues pâtes à potage doivent en effet leur nom à l’italien vermicelli, le pluriel de vermicello, « petit ver », un diminutif de verme, qui, comme notre ver, est issu du latin vermis. Ce vermicelle est aussi un bel exemple de l’influence de l’écrit et de l’analogie sur la prononciation. Quand l’Académie le fit figurer pour la première fois dans son Dictionnaire, en 1762, on lisait : « On prononce Vermichelle ». Dans son Dictionnaire critique de la langue française, en 1787, Féraud précisait « Mot emprunté de l’italien, qui disent vermicelli et prononcent vermitcheli ». L’Académie maintint sa recommandation dans la cinquième édition, puis l’abandonna. Littré écrivit encore à cet article, en 1873 : « Vermicelle (vèr-mi-chèl, d’après l’italien ; plusieurs disent ver-mi-sèl, d’après l’orthographe).» Cette dernière et l’analogie avec les autres mots en -celle ont gagné.