Pauvre Matthieu ! On ne sait jamais s’il faut mettre un ou deux t à son nom et une chanson populaire ne lui voit qu’un cheveu. Et ce n’est pas le pire, puisque ce serait à l’évangéliste ainsi nommé que l’on doit, indirectement, le nom galimatias, ce discours embrouillé et confus, qui semble dire quelque chose et qui ne dit rien. D’aucuns pensent en effet que ce mot viendrait du grec chrétien kata Matthaion, « selon Matthieu », et ferait allusion aux dix-sept premiers versets du chapitre I de son Évangile qui donne la généalogie du Christ, jadis psalmodiés à l’église sur un ton monocorde, ce qui n’en favorisait pas une bonne compréhension. Mais il ne s’agit là que d’une hypothèse, car l’étymologie de ce nom est, comme ce qu’il désigne, peu claire, et les tentatives d’explications nombreuses. Pour certains il doit son origine au fait que, à la Renaissance, on donnait parfois le nom latin du coq, gallus, aux étudiants, et l’on appelait par dérision leur savoir galimatias, altération de gallimathia, un nom plaisant créé à l’aide d’une forme -mathia, « science », tirée du grec manthanein, « apprendre, étudier », et du génitif galli, le galimatias étant donc proprement « une science de coq ». D’autres encore le font venir du latin médiéval ballematia, qui a d’abord signifié « danse », mais qui a aussi, si l’on en croit le Corpus des grammairiens latins, désigné des inhonestae cantiones et carmina et ioca turpia, « des chansons malhonnêtes, des couplets et des jeux de mots scabreux ». Il est vrai que l’on prête parfois un caractère obscène à des propos confus, dans lesquels chacun peut percevoir des sous-entendus ou des doubles sens osés. Marcel Aymé a bien rendu compte de ce phénomène dans une scène de La Table-aux-crevés : « … Les gars faisaient des plaisanteries à la Cornette et donnaient un tour galant à la conversation. Cela consistait en quelques paroles anodines dont on soulignait l’intention luxurieuse par une grande claque dans le dos du voisin. Plus la plaisanterie était obscure, plus on riait. » On a encore proposé une autre étymologie pour galimatias : un avocat, plaidant en latin pour un certain Mathias, dans une affaire où il s’agissait d’un coq, s’embrouilla au point de dire galli Mathias (Mathias du coq) au lieu de gallus Mathiae (le coq de Mathias). Mais Littré écrit que « l’anecdote a été inventée pour fournir l’étymologie ». Faut-il le croire, puisque le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse nous apprend que cette histoire a été rapportée par l’académicien Pierre-Daniel Huet (1630-1721), qu’il présente comme « le savant évêque d’Avranches » et dont le philologue et critique littéraire Maurice Rat a dit, au siècle suivant, qu’il fut « après Ménage le meilleur étymologiste de son temps » ? Concluons sur ce galimatias en rappelant que Boileau distinguait le galimatias simple, qui n’est pas compris des auditeurs, du galimatias double, où l’auteur ne se comprend pas lui-même.
Quoi qu’il en soit, Mathias (ou Matthieu) n’est pas le seul personnage à avoir donné son nom à un discours quelque peu obscur. C’est aussi le cas de Laïos, le père d’Œdipe et le mari de Jocaste. Aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, il était fréquent que l’on latinise les noms des personnages de la mythologie grecque, et c’est ainsi que Laïos se transforma en Laïus. Et si ce nom propre devint un nom commun, c’est parce que le premier sujet littéraire proposé au concours d’entrée à l’École polytechnique, en 1804, était « un discours de Laïus ». Ainsi non seulement l’infortuné Laïus périt sous les coups de son fils, mais son nom servit aussi à désigner, dans l’argot scolaire d’abord, puis dans la langue commune, un exposé, ordinairement long et creux, voire des propos diffus et insignifiants.